COMMENT JE SUIS DEVENU JOURNALISTE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC ? (1979)











Note de l'auteur


J'ai écrit ce premier livre à l'automne de 1978 pour le terminer au début de 1979, le matin très tôt entre 4 heures et 8 heures chaque matin pendant plusieurs semaines. Je me souviens encore que je marchais entre ma résidence en chambre de la rue William dans Sillery pour me rendre jusqu'à l'Assemblée nationale où j'avais un bureau de journaliste. 

J'ai d'abord écrit le manuscrit à l'endos de feuilles sur lesquelles était imprimé la retranscription des débats de l'Assemblée nationale. J'ai ensuite réécrit mon manuscrit au propre à quelques reprises pour le corriger et finalement je l'ai fait imprimer sur le photocopieur du secrétariat de la Tribune des journalistes, en 100 copies pour une distribution privée, mais aussi pour essayer de la faire publier par un véritable éditeur.

Je me souviens d'ailleurs à l'hiver de 1979 que l'éditeur et fondateur des Éditions de l'Homme, Jacques Hébert, m'avait invité à son bureau de Montréal pour discuter d'une éventuelle publication.
Finalement il en avait décidé autrement, mais il m'avait encouragé à continuer d'écrire.
Le monde est bien petit et je reverrai plus tard, en mars 1986, ce même Jacques Hébert qui tenait une grève de la faim en tant que sénateur à Ottawa afin de protester pour le rétablissement du programme Katimavik que le gouvernement proposait d'abolir et dont il était le créateur. J'étais alors devenu l'un des attachés de presse du Premier ministre Brian Mulroney...

Le manuscrit que je vous présente ici est la version originale telle que publiée en 1979. Le texte comporte plusieurs fautes d'orthographe et de style, mais je n'ai pas voulu les corriger afin de bien refléter l'époque où j'avais 22 ans et quand je n'avais aucune éducation formelle.

Si ma pensée est naïve et un peu conquérante dans le style, c'est à cause de mon âge mais aussi parce qu'à cette époque j'avais réussi, malgré tous les obstacles et le manque de moyen, à me joindre aux meilleurs journalistes de la Tribune parlementaire de Québec et, pour moi, rien n'était alors impossible! J'étais habité par le rêve et l'espoir de la jeunesse.

J'étais convaincu que rien, absolument rien ne pouvait m'arrêter. Mon rêve à cette époque était même celui de remplacer un jour l'animateur vedette de la télévision Radio-Canada, Bernard Derome. Évidemment cela ne s'est jamais produit, mais le rêve lui a existé et, finalement, c'est cela l'important, car une vie sans rêve n'est pas une vie! Et parfois, si l'on est chanceux et que le destin est au rendez-vous, nos rêves deviennent réalité!

Ce livre est finalement une sorte de journal de la pensée du jeune homme que j'étais à l'époque dans les années 1977 à 79.
Si j'ai voulu un peu l'immortaliser avec l'internet c'est parce que ce document est le premier que j'aurai écrit et il raconte en détail mon cheminement à partir de mon enfance jusqu'au début de ma vingtaine.

Aujourd'hui en 2018, loin de mes 20 ans, je sais bien que l'on ne change pas le monde, mais que c'est le monde qui change et qui nous change. Il faut cependant avoir vu le temps passer pour comprendre cette réalité. 

À la fin du texte, un album photo a été ajouté, lequel illustre le récit du livre. Ces photos n'étaient pas publiées dans l'édition originale. 

Bonne lecture!
Bernard Bujold - février 2018


Mon bureau de journaliste à l'Assemblée nationale où j'ai écrit le manuscrit de ce livre en 1978


Archives des premières pages du livre en version originale






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COMMENT JE SUIS DEVENU JOURNALISTE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC?
Par Bernard Bujold (1979)


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PRÉFACE 

Le journalisme est une bien drôle de discipline!
On a dit d'elle que c'était un pouvoir social capable de manipuler un peuple et ses idées et de le pousser à agir dans tel ou tel sens. On a aussi dit des journalistes qu'ils étaient des bons à rien provenant de diverses couches de la société, le plus souvent mauvaises, et que ces gens faisaient du journalisme parce qu'ils étaient incapables de faire quoi que ce soit d'autre pour gagner honorablement leur vie. Qu'en est-il vraiment? Je n'en sais encore rien sauf que je me retrouve à peine âgé de plus de 20 ans journaliste à l'Assemblée nationale du Québec avec comme rôle de surveiller et d'interpréter les agissements de politiciens, fonctionnaires et de l'ensemble du gouvernement de la province. Est-ce que je remplis bien cette tâche? Difficile pour moi de répondre néanmoins selon mes patrons la réponse est oui. Des patrons qui ont à contrôler des médias qui desservent près du million d'auditeurs soit de la radio ou de la télévision. Ceci est mon histoire et la description de tout le cheminement que j'ai dû suivre pour en arriver à être correspondant parlementaire. Je désire cependant avant de commencer â vous raconter mon voyage personnel, dédier cet ouvrage â tous les jeunes qui le liront et leur dire qu'encore aujourd'hui il est possible de se réaliser et d'accomplir des choses qui nous semblent d'abord impossibles.
L'espoir, le travail et surtout le courage d'affronter les obstacles peuvent renverser toutes les difficultés. 

Je m'avancerais même à dire que: " Impossible n'est pas un mot, ni Québécois ni Canadien. " 

J'ai écrit ce livre pour publication en circuit fermé et de ce fait ceux qui le liront sont en principe de mes amis personnels ou encore des membres de ma propre famille. Je n'ai donc pas cherché à cacher les faits ou user d'humilité. Pour la plupart vous connaissez déjà non histoire, mais sans l'envers du décor. Avec cet ouvrage vous verrez par quel moyen précis j'ai pu obtenir tel ou tel succès; succès qui sont en réalité peu importants aux yeux de la grande masse de la population. Je veux que cet écrit conserve un cachet personnel et à ceux qui auront le privilège d'en recevoir copie, je dis : " Conservez-le en souvenir et dites-vous bien que c'est un de vos amis qui en est l'auteur et qu'il espère bien vous conserver comme ami durant toute sa vie."

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CHAPITRE UN
Origines familiales 


Bernard Bujold est né dans la Gaspésie à Saint-Siméon de Bonaventure, un petit village d'à peine 1500 âmes. C'est Léonard Bujold, lui aussi un gaspésien d'origine, qui le 28 juin de l'année 1956 avait pu contempler la naissance de son premier fils. Il avait deux ans auparavant, en août 1954, convolé en justes noces Anita Cyr une jeune fille provenant d'un village situé quelques milles à l'ouest de Saint-Siméon, New-Richmond un patelin fortement anglophone. Le couple aurait encore deux autres enfants, des garçons du nom d'André et Raynald, mais il lui faudrait pour cela attendre quelques années plus tard en 1961 et 1962.
Notons que Léonard avait déjà été marié à Gemma Poirier la fille de Benoit Poirier de Bonaventure, mais cette première épouse est décédée en 1952, un an après le mariage ne laissant ainsi aucun enfant de l'union. 

Léonard Bujold n'était pas un intellectuel. Il vivait bien, mais modestement sur une propriété rurale possédant également une terre agricole qu'il ne cultivait pas.Il gagnait sa pitance et celle de sa famille en travaillant pour la presque unique industrie de l'endroit, aujourd'hui appelé Consolidated Bathurst de New Richmond, mais à l'époque c'était un autre groupe d'industriels qui en avait la propriété. Il fit à peu près tous les métiers allant de bûcheron à homme de manoeuvres et même à homme d'entretien, ceci en plus bien sûr de voir à l'entretien de ses différentes propriétés personnelles. 

Son épouse Anita Cyr n'était pas elle non plus une femme tellement publique. S'occupant de son foyer elle préférait demeurer au logis et voir à l'entretien ménager. Le couple faisait bon ménage et vivait simplement comme la plupart des autres familles habitant dans le voisinage. 

L'enfance de Bernard se déroula donc dans cette ambiance avant tout rurale et elle fut relativement comparable à celle de tout autre garçon qui origine et vit en Gaspésie. Avec la différence cependant que dans son cas ses parents le suivaient de très près et le gâtaient énormément. Il était leur seul fils, le couple Léonard et Anita ne devait avoir leurs autres garçons qu'en 196I et 62 époque où l'aîné serait âgé de 5 ans, et de ce fait comme tout enfant unique il était surprotégé par ses parents. 

Il fit ses premières études de niveau primaire au couvent de Saint-Siméon lequel était à l'époque sous l'administration d'une congrégation de Soeurs ursulines. Selon elles, Bernard démontrait certaines facilités, principalement dans l'élocution verbale, ce qu'elles utilisaient d'ailleurs lors des séances de théâtre amateur. À part l'art oratoire, Bernard était passablement habile dans l'assimilation des diverses matières enseignées comme le français, les mathématiques, l'histoire, la religion, etc. 
Presque toujours premier de classe, son entourage reconnaissait le fait qu'il était doué et que probablement il occuperait, une fois devenu adulte, une quelconque fonction importante. 
Durant sa septième année scolaire, Bernard fut élu président de sa classe. Organisée selon le même processus qu'une direction élue par suffrage universel, la classe s'était nommé un conseil d'administration. L'idée avait été lancée au départ par la responsable de ce niveau scolaire, Soeur Angeline Bourdage qui voulait ainsi initier les plus vieux élèves du couvent à la vie sociale organisée.

Au début les élèves s'étaient montrés retissant et très peu semblaient réellement vouloir embarquer dans le jeu. Soeur Angeline avait expliqué que les intéressés devraient passer par toutes les étapes, c'est-à-dire placer leur nom en lice, effectuer leur petit discours politique de façon suffisamment convaincante pour que les autres élèves acceptent de voter en leur faveur et enfin bien sûr il y avait le vote de sélection officielle.

Pour sa part Bernard n'avait pas hésité à poser son nom et il avait même mis une certaine fougue dans son allocution où il invitait ses collègues à le nommer président. Si on acceptait de le faire, il promettait de les aider à organiser une vie de groupe bien soutenue et faisait miroiter divers projets qui ne manquaient pas d'intérêt. En voyant ainsi un candidat à la présidence si zélée et s'impliquer directement dans le jeu de Soeur Angeline, quelques autres enfants décidèrent d'en faire autant. 
Finalement le poste de président fut confié à Bernard et on nomma un responsable pour chacun des autres postes à combler: secrétaire, trésorier et conseillers. 

Durant son mandat de chef de classe, notre jeune président s'occupa tel qu'il l'avait promis de l'organisation de la vie du groupe à l'école. Il organisa entre autres, avec l'aide de la Soeur responsable, un voyage de fin d'année où toute la classe fit le tour de la Gaspésie. Durant l'année comme telle, il avait, avec l'aide des autres membres du conseil, vu au déroulement de divers projets comme le Carnaval étudiant, les ateliers d'exposition en art plastique de même que différents autres événements du genre.
D'ailleurs en gros, l'attitude de Bernard durant cette année scolaire ressemblait presqu'en tous points à celle des six années précédentes. Il était un élève studieux et une sorte de leader intellectuel pour les autres enfants. Régulièrement premier de classe, l'étude le fascinait du moins à un degré plus élevé que chez ses compagnons. 

L'ambiance dans laquelle il était élevé favorisait peut-être aussi ce comportement, car il faut dire que si bien sûr son milieu familial en était un rurale et comparable à celui des autres enfants, dans son cas précis, il y avait une fréquentation coutume re du monde religieux. La soeur de sa mère, Émilia Cyr, était la servante du curé de Saint-Siméon à l'époque le Chanoine Alphonse Miville. Fortement impliqué dans la vie liturgique de la Gaspésie, le Chanoine Miville, monsieur Miville comme on l'appelait entre proches, aimait bien Bernard. Sa soeur aussi,Louise Miville ,qui habitait également le presbytère n'était pas sans égard face au jeune neveu de la servante. Tous les trois donc, y compris Émi1ia Cyr, gâtaient à qui mieux mieux leur protégé et à l'occasion on tentait de l'intéresser à la vie religieuse. Louise Miville plus particulièrement espérait bien le voir un jour entrer au clergé et devenir prêtre. La fréquentation de ce milieu social était très certainement favorable pour Bernard et même s'il n'est pas devenu curé de village, son enfance en a été marquée et il en a conservé nombre d'enseignements pour sa vie d'adulte. 
En plus de le gâter les Miville le recevaient souvent à diner, le midi à l'heure du lunch durant les journées scolaires, ou encore utilisait ses services pour effectuer de menus travaux de réparation au chalet d'été, travaux qui étaient réalisés avec la participation de son père Léonard qui agissait comme contremaître des opérations. Ce fut même chez les Miville que Bernard gagna son premier argent de poche véritable. 

Après l'époque de sa septième année, à la fin du calendrier scolaire, d'importants changements de personnalité le transformèrent du tout au tout. En passant du niveau primaire à celui de secondaire, Bernard commença peu à peu à délaisser les matières scolaires. Il perdit tout intérêt à diriger la vie de groupe et tout ce qu'il possédait comme civisme et bonnes manières il n'en fit du jour au lendemain que presque plus utilisation, un peu comme s'il eut renié ce genre d'agissements. Durant les trois années et demie qu'il passera dans les institutions scolaires de niveau secondaire, ce rejet du respect social ira continuellement en s'accentuant. Pour l'enseignement de sa huitième année, il avait pu continuer à fréquenter le couvent de St—Siméon, mais lorsque vint le moment de sa neuvième année il dû se rendre à Bonaventure, un petit village situé quelques cinq milles à l'est de Saint—Siméon, de façon quotidienne. 

C'était d'ailleurs l'époque où le gouvernement commençait à centraliser les élèves et l'approche de la fameuse mode des polyvalentes. Les débuts de Bernard au niveau de la neuvième année furent encore plus mauvais que ceux de l'année précédente. Il s'en fallut même de peu à la fin du calendrier pour que la graduation ne soit pas accordée faute de résultat suffisamment élevé sur le plan de la notation des examens. Il passa cependant deux années à Bonaventure, au collège de l'endroit, celle de 1970 et 71. 

De cette époque il conserve un souvenir généralement agréable même s'il était très seul et en grande partie rejeté par les autres étudiants. Il faut bien sûr souligner le fait qu'il était devenu très indépendant et qu'il n'acceptait que rarement de collaborer avec ses professeurs. Il se créera toutefois une admiration presque sans borne pour son professeur d'éducation physique, un certain André Beckrich se projeter au plan personnalité. sur qui il tentera un peu de. Ce dénommé Beckrich d'origine étrangère belge ou suisse avait servi durant la dernière guerre à titre de commando spécial. Ce seul point avait suffi pour convaincre Bernard des aptitudes que possédait son professeur de sport qui véritablement était un maitre de la natation et i1 deviendra d'ailleurs au cours des années suivantes un moniteur de réputation nationale, du moins au niveau du Québec, et il maitrisait bien la science générale de l'éducation physique. 

En 1972 Bernard se rendit à Caplan, un petit village situé cette fois quelques cinq milles de Saint-Siméon, mais à l'ouest, pour poursuivre ses études secondaires, précisément sa onzième année. 
Là ce fut vraiment le désastre. Le climat du C.P.E.S. de Caplan, l'école qu'il avait à fréquenter, fit nettement déborder son vase et rendu à un peu moins de la moitié du calendrier scolaire pas il commença à se rendre compte qu'il échouerait et ne pourrait obtenir la graduation. Notons en passant que ce C.P.E.S était l'ancienne école régionale de la Gaspésie où on y enseignait l'agriculture en tant que spécialité. Faute de candidats en nombre suffisant pour la culture de la terre, on avait dû convertir l'établissement en maison d'enseignement de niveau secondaire conventionnel.

Durant cette année 1972, il était devenu très agité et il ne pouvait plus aucunement se concentrer sur l'étude des différentes matières inscrites au programme. Plusieurs des dirigeants de l'institution commencèrent même à lui conseiller de s'orienter vers un domaine moins scientifique, un métier manuel ou encore de simplement aller passer quelques années sur le marché du travail question de prendre un peu d'expérience pratique de la vie. Question aussi de laisser l'adolescence passer et les instincts de révoltes disparaitre de sa personnalité. 

Cette dernière hypothèse du marché du travail semblait la plus intéressante pour Bernard d'autant plus qu'il était maintenant âgé de 16 ans, qu'il commençait à vouloir être indépendant de l'aide parentale et que de ce fait le besoin d'argent lui appartenant réellement devenait comme une sorte de nécessité du moins selon ce qu'il pensait. Après quelques semaines de réflexions, il se décida. Il abandonnerait l'école et commencerait à gagner sa vie. Le problème était maintenant où aller et pour faire quoi? Qui consentirait à prendre ce jeune individu qui aux premiers contacts n'offrait rien de dégoutant, mais rien de tellement attirant non plus? 

Sa famille, dans cette affaire d'abandon scolaire, n'en avait presque pas ressenti aucun signe vraiment précis. Pour sa part son père, Léonard, était persuadé que la vie s'apprend en la vivant et il avait bien l'intention de laisser ses fils affronter cette vie et de les voir se débrouiller seul. Surtout que depuis les années 67, la famille avait dû se résigner à envoyer André, celui qui vient entre Bernard et Raynald, dans un institut spécialisé pour sourds, événement qui avait fortement touché Léonard et Anita qui étaient découragés de l'épreuve que leur envoyait le destin. Aussi Léonard avait laissé son ainé prendre un peu de corde du moins au plan scolaire et il ne regardait les résultats qu'à distance. 

Pour cette raison, lorsque celui-ci annonça son intention de commencer à travailler, il n'y eut pratiquement pas de commentaires négatifs à part bien sûr les premières réactions du moment. 
Léonard rêvait avant tout pour sa progéniture de futurs emplois où ses fils pourraient être en sécurité et desquels ils pourraient tirer suffisamment d'argent pour faire vivre une famille entière. Fonctionnaire ou commissionnaire conne il s'en trouvait déjà plusieurs autour de lui en Gaspésie aurait fait son affaire en tant que paternel. Quant à Anita, comme toute mère qui voit en son fils un simple enfant qu'elle voudrait toujours conserver pris d'elle, elle n'avait rien à redire sur les présents événements qu'elle considérait comme normaux. À 16 ans on commence à devenir adulte et il faut bien, si on veut un jour élever une famille, commencer à travailler et gagner de l'argent. 

On parle ici de famille et il faut bien comprendre que le milieu et l'époque dans lesquels évoluait Bernard étaient ruraux. Généralement les jeunes gens se mariaient vers 19 ou 20 ans. Plusieurs s'établissaient directement sur place en Gaspésie et assuraient ainsi la relève de la famille. Bien sûr il y en avait quelques-uns qui se dirigeaient vers les grandes villes, plusieurs même, mais en ces années 72 un bon nombre demeuraient sur les lieux de leur origine. Les idéologies modernes sur la vie de couple et la révolution dans l'institut du mariage conventionnel n'avaient pas encore fait leur apparition dans cette Gaspésie qui encore aujourd'hui est, sous de nombreux angles, pubère et au stade de sa croissance. 

La décision fut donc prise que l'ainé de la famille Léonard Bujold abandonnerait sa fréquentation scolaire. Le geste fut posé en mars de l'année 1973. Il était en onzième année et il avait maintenant l'assurance qu'il coulerait sa présente année scolaire. Il n'avait pas décroché la lune comme emploi, mais ses efforts n'avaient tout de même pas été vains. Suite à une rencontre avec ses amis, un de ceux-ci lui avait conseillé de s'adresser au bureau de main d'oeuvre sous administration provinciale qui était à préparer un projet spécial et pour lequel on avait besoin d'employés à temps complet du moins pour une période de quelques mois. Il se rendit au bureau gouvernemental en question et il obtint l'un des emplois. Il devint responsable de la plantation de jeunes pousses d'arbres. Toutefois, disons-le clairement, responsable ne signifiait ici rien d'autre que d'être la personne qui creuse un trou avec une pelle puis place une tige d'arbre dans ce trou. Conne diraient les mauvaises langues ce n'était pas un travail de premier ministre. Le salaire offert était d'environ $I15.00 par semaine et il fallait coucher du lundi au vendredi directement en foret dans les camps qui avaient servi quelques années plus tôt aux bûcherons. Malgré le peu d'intérêt véritable que pouvait susciter pareille responsabilité, cette trouvaille était un véritable cadeau de roi pour l'adolescent en croissance et qui en était à ses premières expériences.



Pages photos publiées dans l'édition originale
 

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CHAPITRE DEUX 
Débuts professionnels 


Si planter de jeunes arbustes était relativement payant cela n'en était pas moins dur physiquement et pour Bernard, moralement en plus. 

Ce dernier n'a jamais été un enfant extraordinairement fort au plan physique. Malgré le fait qu'il s'était mis à la culture physique depuis quelque temps on ne pouvait le qualifier de "Jonny Rougeau". Sur le plan moral il a toujours été un individu aimant la solitude et ne se sentant d'aucune façon â l'aise dans un groupe. Il affiche même une certaine timidité lorsque vient le temps de voir des gens étrangers ou même connus depuis longue date. 

L'ambiance de groupe des chantiers forestiers n'était donc pas parfaite pour ce jeune adolescent solitaire, mais ce n'est pas cela qui l'empêcherait de continuer son travail. 

Son père pour sa part était tout feu tout flamme pour ce premier emploi surtout que la compagnie responsable du projet était la Consolidated Bathurst la même compagnie pour laquelle il travaillait lui aussi. Et il n'était pas surprenant le vendredi soir, au retours de Bernard au foyer, de voir Léonard sermonner son fils sur les avantages du travail surtout sur l'importance pour un homme de ne pas avoir peur de l'effort. Il voulait bien sûr commencer à mettre sous les yeux de son gars que celui-ci devenait de jour en jour plus vieux et qu'il devrait prochainement prendre ses responsabilités d'homme.

Evidemment les sermons ne duraient pas longtemps car le fils s'en allait rapidement, une fois sa toilette faite, à la conquête de possibles jeunes filles de son quartier pour retourner le lundi matin des les premières lueurs du jour à sa tâche de "planteur d'arbres".

Il faut dire que ce premier emploi faisait partie d'un projet gouvernemental destiné à réduire le chômage.Il n'avait donc rien de continu. Aussi une fois le contrat terminé, on se retrouva au début de juin 1973 et parce que Bernard avait fréquenté l'école au début de l'actuelle année scolaire il pu obtenir un poste comme "étudiant au travail" cette fois pour le ministre des Transports du Québec. Sa nouvelle responsabilité: faucher l'herbe sur le bord des routes. Evidemment ce n'était rien de tellement compliqué. 

Quelques semaines plus tard alors qu'encore une fois la période disponible de travail se trouvait échue, son père lui obtint un emploi de commissionnaire chez un épicier local, la Coopérative de Saint-Siméon. Il devait placer les marchandises vendues dans des sacs en papier puis se rendre les déposer dans les automobiles des clients. Il faut peut—être souligner qu'il avait déjà fait ce travail auparavant et pour le même épicier à raison des jeudi et vendredi soir quelques mois plus tôt. 

Mais les derniers jours de l'été vinrent rapidement et avec eux le moment de la rentrée scolaire. Bernard s'y rendit et si la chose était possible il devrait, suite aux conseils d'orientation de son père, essayer de se diriger vers un domaine technique débouchant sur une formation professionnelle. Mécanicien par exemple.

Mais il n'avait pas mis les pieds dans cette nouvelle polyvalente de Bonaventure que tout se montra négatif. 
Premièrement l'ambiance était, on le comprendra avec son tempérament solitaire, plus que mauvaise. 
Deuxièmement, ce dernier avait au cours des derniers mois ressentit ce que l'on vit quand on possède de l'argent. Il avait commencé â fréquenter quelques discothèques locales, des hôtels où l'on retrouve des orchestres. Puis il y avait aussi une nouvelle idée germée dans son esprit; celle de devenir le propriétaire d'un gymnase de culture physique. 

En effet depuis les derniers mois, il s'était mis à pratiquer le conditionnement physique avec divers instruments que son père lui avait permis d'aménager dans la résidence familiale ainsi que dans le garage et ce qu'il espérait le plus c'était d'avoir à lui son propre gymnase et d'y entraîner  commercialement d'autres individus. Un peu des studios du genre " Vic Tanny's ".

Et à part ces rêveries, il y avait aussi l'épicerie locale où, dû â l'augmentation de la clientèle, l'on avait pris la décision d'engager un employé supplémentaire sur une base régulière. 

Le gérant Gérard Arsenault avait indirectement approché Bernard pour qu'il occupe l'emploi disponible ce qui n'avait pas manqué de l'intéresser de façon sérieuse et concrète. 

La décision fut prise le soir même de la rentrée scolaire : il abandonnerait l'école et travaillerait à la Coopérative de Saint-Siméon. 
Selon lui il était préférable de saisir la chance qui s'offrait â lui et occuper un travail régulier tandis qu'avec l'école on n'était nullement assuré d'un résultat avantageux â la fin du cheminement.

Avec la Coopérative il était au moins certain de recevoir régulièrement un revenue. 

Dans tout cela son père fut probablement le plus heureux. 
Pensez donc à 17 ans son fils possédait un emploi régulier, à temps complet, et mieux encore à quelques centaines de pieds seulement de la résidence familiale. Sa mère elle et bien elle aussi était heureuse de voir son fils en quelque sorte casé. Cependant elle semblait la seule qui pouvait à travers ces heureux événements entrevoir l'avenir et sa réalité et disait : " C'est très bien, c'est un bon début et puis dans un an ou deux tu pourras faire autre chose." 

Ceci alors que même Bernard croyait avoir trouvé le filon d'or miracle exploitable durant le reste de sa vie. 

Surtout qu'en cette période bon nombre d'adultes ne pouvaient se trouver d'emploi. Tout le monde dans la famille Bujold était donc heureux et on peut dire que le temps était au beau fixe. 

La situation ne restera cependant pas longtemps ainsi et les premières flammes d'intérêt ne tarderont pas à se refroidir. Bernard était le responsable de l'affichage des prix, mise en étalage des produits de façon à ce que les clients voient bien la marchandise, empaquetage des achats, etc... 

Bref toute une foule de responsabilités nécessaires au bon fonctionnement d'un magasin d'alimentation. 
Dans l'ensemble il s'acquittait assez bien de sa tâche laquelle était intéressante du moins dans l'optique où le travail en était un d'intérieur et peu exigeant physiquement. Toutefois l'adolescence commençait à cesser son influence chez lui et ainsi il commençait à rêver d'avenir et à d'autres horizons plus prometteurs. 

D'une part il y avait l'espoir d'avoir un jour son propre gymnase qui le tenaillait encore et, à voir certains de ses amis s'exiler vers les villes minières du Québec, Sept-Îles, Schefferville et les autres, et en revenir avec des salaires gagnés en une seule semaine qui atteignait parfois celui qu'il avait gagné en deux mois de travail à cette fameuse Coopérative de Saint-Siméon, tout cela chicotait par en dedans le jeune employé de l'alimentation. 

En juin. 1974, c'est sur le seuil d'entrée du magasin, vers les 8 heures 30 et par un beau soleil matinal, qu'il annonça froidement au gérant qu'il partirait dans un délai de deux semaines. Sa décision était finale et ce serait vers Sept-lies qu'il irait à l'avenir gagner sa vie. 

En réalité le gérant Gérard Arsenault n'en fut pas tellement surpris. Il s'était bien rendu compte depuis les derniers mois que son nouvel employé, vieux maintenant de presqu'un an, rêvait plus souvent qu'à son tour de trop beaux et grands projets pour un simple employé de magasin. 

Des projets bien probablement irréalisables, mais ce n'était pas son problème et si le jeune voulait rêver en couleur et se briser les reins alors il n'y pouvait rien. Il lui avait donné sa chance et tant pis s'il ne la prenait pas. 

Il faut ajouter ici à l'avantage de la Coopérative de Saint-Siméon que c'est probablement elle la grande responsable de l'orientation générale, de la future carrière de Bernard au plan professionnel.  L'ambiance du magasin d'alimentation était très fraternelle et pour les clients, Bernard était un jeune qui avait un emploi pour ainsi dire pour le reste de ses jours donc un jeune homme chanceux. On pouvait voir régulièrement les clients discuter autant avec lui qu'avec les autres employés et ceci n'était certainement pas nuisible aux différentes méditations du futur journaliste parlementaire. 

Cette ambiance rurale et chaleureuse de la Gaspésie se reflétait également sur le climat interne de travail et même si parfois on se jouait des tours pendables entre collègues de travail, finalement on s'aimait bien. C'est donc avec une larme à l'oeil qu'il quitta son emploi de commis à l'alimentation de même que l'équipe de travail avec qui il s'était fortement lié d'amitié, amitié qui demeurera d'ailleurs au fil des années même lorsqu'il sera devenu journaliste. 

Mais à l'époque il venait d'avoir 18 ans et avec un de ses amis d'enfance, Michel Bujold qui malgré le même nom de famille n'avait aucun lien familial, ils avaient tous deux planifié un programme d'abordage de la ville de Sept-Îles, abordage au plan travail bien sûr. 

Et son père malgré les premières rétissances avait finalement appuyé cette idée et on commençait dans sa famille à croire fermement que la ville de Sept-Îles serait une excellente ville pour que se poursuive l'initiation de Bernard face à la vie. 

On s'était aussi fait â l'idée que jamais ce dernier ne serait un rural et qu'il devrait gagner sa vie comme un nomade voyageant de ville en ville . 

L'idée d'animer des émissions radiophoniques venait aussi de germer dans l'esprit de Bernard des suites d'un voyage effectué à Shawinigan chez un de ses oncles en constatant que la fille que devait épouser son cousin avait un frère animateur de télévision. Comme notre commis d'alimentation était en vacances annuelles et qu'il en profitait pour méditer sur son avenir il n'en fallu pas plus pour qu'il se dise : " Si un individu qui est le frère de la fille que non cousin va épouser peut faire de la télévision pourquoi est-ce que moi aussi ne le pourrais-je pas ? " 

Le frère en question est un dénommé Duquette travaillant pour la télévision de Trois-Rivières, mais le plus drôle de l'affaire c'est qu'il n'a jamais su le rôle qu'il avait joué dans la carrière de Bernard. 

Il faut ajouter à cela que c'est avec une certaine déception qu'il avait constaté qu'il lui serait impossible de s'associer avec un propriétaire de gymnase de la Mauricie qui avait bien laissé entendre à notre jeune gaspésien que s'il voulait un gymnase il lui faudrait d'abord travailler et faire un peu plus ses preuves. 

Bernard se promettait donc en revanche de s'attaquer à ce nouveau béguin: le monde radiophonique, et de créer, sinon inventer la radio à Sept-Iles car autre caractéristique spéciale, comme plusieurs de ses amis, Bernard croyait bien avoir affaire sur la Côte-Nord à un monde en pleine expansion et à peine à l'age de sa colonisation.

Ce ne sera cependant, pas le cas et même si notre découvreur en puissance deviendra présentateur pour la radio de Sept-Îles, son aventure dans le monde des communications ne fait que de commencer. 

Note: L'oncle dont il est ici question est Albert Bujold qui a marié avec Alice Jobin de Québec. Ce dernier est un peu l'intellectuel de la famille Elie et Bernard s'est fortement inspiré de cet oncle qui était innovateur. On pourrait même dire que Bernard en est la continuité dans la nouvelle génération. Quant à son cousin, c'est André Bujold qui a marié Denise Duquette de Shawinigan. 






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CHAPITRE TROIS  
Sept-Iles 1974
Début de carrière journalistique


 Cette fameuse aventure qui devait déboucher sur une sorte de trésor " Incas " québécois ne fut pas si miraculeuse que prévu. Du moins dans les premiers temps. 

L'arrivée comme telle à Sept-Iles qui se fit en juillet de 1974 fut A elle seule presqu'historique. 

Bernard et son compagnon Michel s'étaient embarqués à bord d'un avion de la société Québécair afin d'effectuer le périple entre Mont-Joli et Sept-Iles. En plus du fait que pour nos deux larrons c'était le baptême de l'air et que Michel ne semblait pas tellement prendre à la farce le ballotement de l'avion et qu'il craignait à tout moment que celui-ci amorce une descente vers le sol; dû au brouillard les quelques seize passagers de l'appareil durent descendre avant destination sur un terrain d'atterrissage de fortune recouvert de gravel et en pleine fôret dans les environs de Port-Cartier. 

Nos valeureux pionniers ne s'étaient pas trompés, si on en croyait les premières impressions, la Côte-Nord était réellement en pleine colonisation même en 1974. 

Si Michel avait bien failli ne pas résister à la traversée par avion alors que Bernard rigolait comme un adolescent devant un film comique, cette fois c'est lui qui commençait à être la proie d'une frayeur horrible. 

"Écoute Michel, c'est affreux. On va s'en retourner tout de suite en Gaspésie. Tu vois bien que c'est encore au stade des indiens. Demain matin, moi je rembarque pour St-Siméon. Puis tu sais c'est pas si pire que ça la co-op. Je crois que je vais y retourner."

Les raisons qui motivaient principalement les frayeurs de Bernard sont qu'effectivement entre Port-Cartier et Sept-Iles, il n'y a rien pouvant attester du haut degré d'industrialisation que connaît la région et surtout des villes comme Port-Cartier et Sept-Iles. La nature en bordure de la route 138 est encore complètement intouchée et en certains endroits si les paysages sont vraiment extraordinaires ils sont aussi vraiment sauvages. 

Et quant à retourner à son magasin d'alimentation Bernard y voyait une sortie d'urgence car le gérant lui avait bien laissé entendre que durant les prochains mois s'il désirait revenir, la porte serait grande ouverte. Même plus il attendrait quelques semaines avant de lui trouver un remplaçant définitif. 

De Port-Cartier à Sept-Iles, il avait été convenu que c'est la société Québécair qui défrayait le coût de transport par taxi jusqu'au centre ville. Au cours de ce trajet Michel qui se remettait tranquillement de sa traversée aérienne avait également repris son calme et c'est avec encouragement qu'il rassurait son compagnon : 

"Bien, écoute, je connais quelqu'un à Sept-Iles. Avant de se décourager attendons d'être sur place. Depuis le temps qu'on me casse les oreilles avec la Côte-Nord et ses belles jobs on va voir si c'est vrai."

Il faut ajouter ici qu'effectivement plusieurs des amis de Bernard et de Michel étaient sensés travailler à Sept-Iles et dans les environs et que plusieurs autres personnes de St-Siméon avaient assuré les deux exilés que selon eux la Côte-Nord était accueillante et que l'emploi y était facilement disponible. 

Finalement après les deux heures de route entre Port-Cartier et Sept-Iles, ce fut l'arrivée dans la ville promise. 

En fin de compte ce n'était pas si pire que ça sauf que maintenant voilà que les craintes se transposèrent sur l'autre côté de la médaille. Maintenant la ville était beaucoup trop urbaine et où pourraient-ils trouver de l'emploi, eux ces jeunes gaspésiens à peine sortis de leur patelin local ? On n'y voyait à première vue que quelques maisons mobiles, des édifices commerciaux et divers grattes-ciel éparpillés. 

Néanmoins nos deux soldats colonisateurs s'installèrent pour une première nuit d'attente chez un hôtelier qui finalement s'avéra être le pire de la ville, du moins de par sa réputation. Au niveau confort c'était cependant acceptable. ( on comprendra ici que le nom précis ne soit pas cité  ) 

Une des anecdotes intéressantes et que se plait à raconter Bernard est celle des danseuses " Topless ", anecdote reliée à cet hôtel. Michel et Bernard étaient couchés dans leur chambre et discutaient de choses et d'autres. Mais quelle ne fut pas leur surprise d'entendre une perpétuelle musique jouer au rez-de-chaussée de l'hôtel et de ne finalement pas pouvoir s'endormir avant les petites heures du matin, vers 2 heures 30, heure où cessa la mystérieuse musique.

Le lendemain c'est Bernard qui le premier, en allant payer la facture pour la première nuit de séjour et dire que l'on conserverait la chambre double pour une autre nuit, demanda au propriétaire :
" Écoutez Monsieur, votre chambre est pas mal mais la musique! Vous pourriez pas demander qu'on la baisse un peu ? Moi et mon collègue on a pas pu dormir de la nuit ."

L'hôtelier de répondre presqu'aussitôt à ses deux jeunes clients mécontents:
" Ah oui la musique! Et bien ce sont mes danseuses. C'est un spectacle - Vous savez il y en a six par jour. Vous devriez venir voir ça. Ce sont des danseuses topless vous savez des jeunes filles qui se dévêtissent... "

Sûrement que nos deux jeunes visiteurs viendraient voir cette chose. Même qu'ils furent les premiers installés vers les 16 heures de l'après-midi attendant la présentation du premier spectacle prévue pour 17 heures. Leur joie fut encore plus grande lorsqu'ils apprirent que la fameuse danseuse logeait dans la chambre voisine de la leur. Malheureusement malgré les nombreux plans d'attaque et essais de nos Valentinos ils ne purent réussir à lui mettre le grappin dessus. Enfin que voulez vous? Erreur de jeunesse persiste à dire Bernard . 

Mais des besognes plus sérieuses les attendaient, Ainsi la recherche d'un emploi s'avéra une tâche passablement ardue.

Comment les autres avaient-ils pu se faire embaucher par les compagnies minières ? Après avoir été remplir des demandes d'emploi auprès de ces dernières c'est tout juste si on en arrivait pas à la conclusion que dans deux mois toutes activités auraient cessées sur cette Côte-Nord. Aucun poste de disponible pour eux et ceci à chacune des entreprises où ils étaient allés frapper. 

On en était maintenant à près d'une semaine de séjour dans la capitale du fer et rien n'avait réellement marché comme prévu . Bernard et Michel s'étaient installés dans un appartement du centre ville. Selon eux il serait ainsi plus facile d'attendre et surtout moins coûteux qu'à l'hôtel. 

Temporairement aussi le mari d'une cousine à Bernard qui habitait Sept-Iles avait réussi à dénicher un emploi de concierge pour chacun des deux nouveaux arrivants mais à un salaire ridicule et l'emploi n'était que sur une base de quelques heures par semaine. 

À part cela, la situation était vraiment dramatique. 

Le retours vers la Gaspésie serait pour bientôt à moins d'un miracle inattendu . Mais Bernard qui était arrivé là-bas avec des idées de grandeur commença à les ressortir durant ces jours maussades. 

Remis de ses premières émotions il reprenait petit à petit sa forme naturelle. L'idée de la radio refit également surface et c'est un peu comme le renard de la fable qui étudie le lion avant d'aller engager la conversation avec lui qu'il regarda et s'informa sur la situation de cette radio de Sept-Iles. Puis il décida qu'il irait offrir ses services à la direction de la station de radio dès le lendemain matin aux premières heures . 

Entretemps durant ce même après-midi de réflexions savantes alors que nos deux chercheurs avaient vainement fouillé la ville en quête d'un emploi, ceux-ci se reposaient calmement en sirotant une bière dans un café restaurant situé juste â côté de la station de radio de Sept-Iles, Le Venise. 

Voila qu'assis â côté d'eux discutent deux autres individus et qui assez étrangement ont avec eux une radio portative qu'ils semblent écouter religieusement. Après avoir prêté l'oreille à leur conversation pendant quelques minutes il n'y a pas de doute, ces deux personnes travaillent pour la radio dont l'édifice est situé juste à côté du restaurant d'où ils sont tous. 

Il n'en fallu pas plus pour que notre valeureux Bernard engage la conversation et s'informe de leur travail exact à l'intérieur de ce " poste " de radio. 

"Pardons monsieur, vous travaillez pour la radio de Sept-Iles?"

-Oui! Oui!

" C'est drôle parce que justement moi qui vient de la Gaspésie j'arrive ici pour travailler dans la radio. Voyez-vous je veux offrir mes services comme annonceur. Dites-moi donc, selon vous, quelle est la meilleure méthode pour approcher la direction surtout que je suis un débutant dans le métier?"

Les deux employés de la radio CKCN étaient entre autres Jean-Philippe Perretti aujourd'hui à l'emploi de Radio-Canada de Moncton au Nouveau-Brunswick ainsi que Bernard Gendron aujourd'hui technicien électronique pour une entreprise privée de la Côte-Nord. 

Tout en terminant leur consommation respective et en poursuivant la discussion, Jean-Philippe Perreti qui était présentateur à cette station de radio finit par conseiller à Bernard de plutôt offrir ses services à titre d'opérateur de mise en ondes. Ce serait excellent pour commencer et rien n'interdisait une fois dans la boite de viser autre chose . 

Le collègue de Perreti appuya ce conseil et souligna que présentement la station qui venait tout juste d'être aménagée dans son nouvel édifice était en période de rodage. Ainsi le directeur avait besoin de quelques opérateurs pour mettre à l'essai la nouvelle formule, vieille dans les boites plus importantes mais nouvelle pour des stations de radio du genre de celle-là, d'un présentateur responsable uniquement de l'animation et d'un opérateur pour la mise en ondes. 

Normalement dans la plupart des stations le présentateur s'occupe à la fois de la mise en ondes et de l'animation. À Sept-Iles la direction de CKCN radio avait décidé pour un peu innover de diviser la mise en ondes et la production. L'opérateur avait comme tâche de diffuser à l'heure prévue tel ou tel enregistrement préparé à l'avance sur cassette. 

C'est ce genre de responsabilité que devait demander Bernard à la direction de la station radiophonique. 

Ce dernier ne tarda pas à se rendre offrir ses services. C'est au directeur général à l'époque un certain Raymond Perreault, qu'il se présenta pour effectuer sa première attaque directe. Celui-ci chaleureux et accueillant; les relations ne devaient pas toujours demeurer ainsi entre Bernard et lui, avoua que l'idée qui lui était proposée était excellente mais ajouta : 

"Opérateur de radio ce n'est pas un travail d'homme. Ici on embauche pour cette tâche surtout des femmes ou des étudiants. La raison c'est que le budget pour ce service n'est pas tellement élevé donc les salaires payés ne sont pas tellement extraordinaires. Environ une soixantaine de dollars par semaine. C'est une excellente source de second revenu mais pas un gagne-pain. Écoute, cherches-toi un emploi dans la ville puis reviens me voir. Aussitôt que tu as quelque chose tu m'appelles et tu pourras te considérer comme opérateur de la radio de Sept-Iles."

Bernard tout heureux de ces déclarations gentilles n'avait pas manqué de glisser un mot sur la possibilité pour lui d'être un jour présentateur pour cette même station. Un jour qui voulait sous-entendre le plus rapidement possible. 

Là encore à cette demande, le directeur Raymond Perreault ne s'était pas montré négatif et l'avait rassuré en lui disant que la chose se produisait souvent. Des individus venaient passer un test de voix et si le résultat était acceptable alors le candidat était embauché. Pour le cas présent il avait souligné que l'on pourrait en reparler au cours des prochaines semaines mais qu'avant tout l'important était de trouver un emploi ailleurs dans la ville sur une base régulière. Après cela on pourrait élaborer un plan de collaboration selon les disponibilités de chacun autant sur le plan de l'animation que de la mise en ondes. 

Bernard était fou comme un balai. Pensez-donc le directeur de la radio l'avait reçu dans son bureau et avait même fermé la porte pour plus d'intimité. Puis, loin de se montrer négatif aux offres, il avait avoué qu'elles répondaient pleinement à ses besoins actuels. 

C'est avec toute une fierté que le soir il raconta la chose à son copain Michel qui lui même ne voulait pas le croire et il lui disait bien de faire attention, que peut-être le directeur c'était tout simplement moqué de lui. 

Allons donc pensait Bernard ,comment pouvait-on avoir de pareilles idées? Le directeur de la station un type si chaleureux et si poli.

Évidemment il est certain qu'il avait arrondi les coins et interprété l'entrevue à son avantage néanmoins le directeur de la station avait réellement besoin de personnel. 

Dans les petites stations le roulement des employés est élevé et il faut être capable de combler les départs rapidement. L'offre de Bernard était comme celle de tout nouveau venu à la radio, un peu bercée par les illusions mais qui ne l'est pas un peu? Et quand le moment serait venu de refroidir notre jeune " Henri Bergeron " en puissance, cela ne serait pas difficile et il ne suffirait que de mettre quelques points sur les i. 

D'ailleurs dans le monde radiophonique on a bien souvent les pieds sur terre mais souvent aussi il faut oser presque dangereusement pour obtenir de bons résultats.

S'il est un domaine où la routine n'a pas sa place c'est bien le monde la radio et de la télévision. Dans son intérieur, le directeur devait bien le savoir aussi. 

Le fameux emploi qui devait lui permettre d'entrer à la radio de Sept-Iles n'était pas une chose facile à décrocher. Il y avait bien sûr un travail de concierge mais les horaires étaient de soir et de nuit, période où justement notre directeur radiophonique prévoyait utiliser notre nouveau venu. 

On dû attendre environ deux semaines plus tard pour que glorieusement il soit en mesure d'annoncer au patron de CKCN qu'il avait un emploi régulier avec un horaire de jour. Il était vendeur attitré pour ROCO Inc. une firme se spécialisant dans la vente de matériaux de construction à l'entreprise privée, notamment à des compagnies minières de l'endroit. L'Iron Ore du Canada, Wabush Mines, Rayonnier Québec, etc. 

Maintenant on pouvait discuter sérieusement de l'association Bujold-CKCN . Cependant dans la réalité l'emploi chez ROCO Inc. ne s'était pas obtenu les mains croisées. C'est avec sa cousine, Louisa Bujold, et son mari, Jean-Claude St-Onge, qu'il avait finalement consenti bien à contre coeur à se rendre demander un poste chez ce marchand.
Louisa Bujold est la fille de Germain Bujold,le frère de Léonard, qui a épousé Fernande Bergeron. 

De l'extérieur l'édifice n'était pas tellement réconfortant et il y avait aussi le fait que la perpétuelle gêne, qui est caractéristique chez Bernard devant des événements nouveaux, n'était pas absente totalement. Chaque fois qu'il doit faire des choses auxquelles il n'est pas habitué, toujours il se demande s'il n'est pas allé un peu trop loin et s'il ne se fera pas expulser. 

Toutefois une fois à l'intérieur de l'édifice, il avait repris confiance et c'est avec énergie et fougue qu'il tentait de vendre sa salade au directeur de cette firme de vente. 

Le directeur en question, Monsieur Elysé Lanteigne, le prit un peu par pitié et, comme s'il voyait en lui un de ses fils il entreprit de l'intégrer dans la compagnie. Il lui dit d'attendre quelques jours question de planifier les choses mais qu'il y avait de bonnes possibilités pour qu'on l'embauche.  

Quatre jours plus tard, presque découragé totalement, Bernard entendit sonner à sa porte. On lui demandait de venir répondre au téléphone à la réception car il avait un appel. Tout surpris il se rendit à cette réception et c'est avec encore plus de surprise qu'il entendit le directeur de Roco Inc., avec qui il avait discuté quelques jours plus tôt, lui annoncer qu'on avait décidé de l'engager. 

Ne sachant comment remercier son nouveau patron il bredouilla mille merci pour ensuite fou de joie s'en retourner à son appartement pour attendre le retours de Michel qui avait depuis quelques jours déniché un emploi de soudeur, responsabilité très rémunératrice. 

Le directeur de CKCN,Raymond Perreault, accueillit encore chaleureusement notre nouveau vendeur de quincaillerie et il commença tel que promis à établir une possibilité d'horaire de travail en tant qu'opérateur de mise en ondes. 

Pour l'histoire de présentateur et bien il avait franchement souligné que pour le moment on avait d'autres chats à fouetter et qu'il était préférable d'attendre quelques temps. 

Il fut donc décidé que Bernard serait opérateur durant le chiffre de 6 heures à minuit et que pour les jeudis et vendredi où il était retenu à la quincaillerie, l'on compenserait par les samedis et les dimanches. En tout une période de responsabilités de 30 heures de diffusion par semaine. 

Évidemment les horaires complets de travail devenaient lourds mais il était convaincu qu'il n'aurait aucun problème à tenir le coup.

Effectivement tout se passa relativement bien. Ainsi il commençait à 8 heures 30 le matin comme vendeur chez Roco Inc. puis le soir après 5 heures 30 il se rendait directement à la station pour tenir la diffusion jusqu'à minuit. 

L'anecdote rappelant cette époque et qu'aime bien raconter Bernard est celle du " bocal d'eau ". 

On comprendra qu'après avoir terminé son quart de travail à minuit, qu'il n'était pas tellement endormi puisque pour un humain les heures les plus difficiles de rester éveiller sont celles entre 9 heures et minuit. Aussi le soir il n'était pas rare de voir notre opérateur de radio arriver en trombe à l'appartement et de mener un vacarme devant la chambre à coucher de son ami Michel. Lorsque celui-ci ne se réveillait pas alors notre chevalier de la nuit s'en chargeait en ouvrant la porte de la chambre et en basculant directement le matelas de Michel par terre. Ce dernier éjecté de son lit se réveillait tout surpris croyant faire un cauchemar horrible. 

A peine avait-il repris ses esprits que Bernard lui lançait avec candeur: " Michel que penserais-tu d'aller prendre une petite bière question de passer le temps. " 

Le pauvre Michel n'en croyait ni ses oreilles ni ses yeux. Lui qui devait se lever à cinq heures du matin pour se rendre travailler à son atelier de soudure, voilà qu'on venait le réveiller à I heure du matin. Vraiment s'il n'avait pas connu l'intrus, il l'aurait lancé par la fenêtre de l'appartement. 

Mais une bonne soirée Michel entrepris de prendre notre tapageur à son propre piège. Il installa avec l'aide de fil et d'un contenant à margarine, un système qui devait normalement faire tomber de l'eau sur celui qui ouvrirait de l'extérieur la porte de la chambre à coucher. Fier de son invention Michel se coucha avec ce soir là l'âme en paix et persuadé que s'il était tiré de son sommeil au moins il rigolerait un bon coup. 

Malheureusement pour lui, le système ne fonctionna pas comme prévu et lorsque Bernard arriva et qu'il s'aperçu que la porte de chambre semblait résister à l'ouverture, il cru que ce n'était qu'une chaise qui placée devant l'empêchait ainsi de s'ouvrir. Il entreprit immédiatement de l'ouvrir par la force car il se disait bien qu'il fallait réveiller l'individu couché dans cette chambre car à chaque soir c'était maintenant devenu la règle d'or de l'établissement. Après quelques pressions la porte débloqua non seulement mais sortit également de ses pentures pour tomber sur le sol sans toutefois que l'installation de douche ne fonctionne. Michel était encore une fois tiré de son sommeil mais Bernard n'avait pas été puni.

Inutile de dire qu'en apercevant tout l'attirail suspendu au plafond et que surtout en constatant comment avaient tournés les événements, nos deux amis prirent la chose à rire et se rendirent cette soirée là, prendre la bière de minuit. 

Entre temps une vacance allait être créée à la station de radio où le lecteur de nouvelles responsable des bulletins du soir et de la fin de semaine venait de partir. Bernard qui s'était lié d'amitié avec le directeur de l' information, un certain Réal-Jean Couture, entrepris de le gagner à sa cause et de le convaincre de lui cette responsabilité.

Bernard voyait là une possibilité de devenir le présentateur qu'il avait au départ planifié de devenir. Le directeur général cependant ne voyait pas la chose du même oeil et il n'était nullement persuadé que Bernard soit l'homme dont il avait besoin et refusait catégoriquement de lui confier la responsabilité de lecteur de nouvelles. 

Notre opérateur de mise en ondes n'était à la station que depuis un mois seulement, il avait été engagé à la fin de juillet et on était présentement au début de septembre, et cela n'était pas suffisant pour avoir permis de juger de sa personnalité générale. 

Toutefois alors que ce directeur était parti à l'extérieur de la ville pour affaires et que Bernard avait totalement gagné à sa cause le directeur de l'information, Réal-Jean-Couture, ce responsable décida de confier la narration des bulletins de nouvelles de la fin de semaine en cours à son nouvel ami.

Après deux ou trois bulletins, Réal-Jean Couture tout fier de son prodige le félicitait et lui assurait que dès le lundi matin il irait annoncer au directeur général que le lecteur de nouvelles du soir et de la fin de semaine était trouvé et qu'il s'appelait : Bernard Bujold. 

On a pu voir durant ce samedi après-midi nos deux camarades parcourir la ville en tous sens avec leur voiture respective à la recherche d'informations sur une supposée manifestation des réserves indiennes de l'endroit. 

Soulignons ici que Bernard s'était acheté une voiture, un modèle Ford Maraudeur de l'année 1969.Un modèle de luxe mais qui avait évidemment quelques années d'usure. 

Mais l'exubérance du weekend ne devait pas durer longtemps et quelle ne fut pas la surprise de Bernard le lundi avant-midi de recevoir un appel du directeur général de la station radiophonique et d'entendre ce dernier l'engueuler â tout rompre à l'autre bout du fil. Lui qui s'attendait à des félicitations et qui attendait cet appel mais pour lui confirmer son engagement à titre de lecteur de nouvelles, il se demandait bien à quel saint se vouer ? 

 " Es-tu fou,C... qui est-ce qui le boss ici ? Qui t'a donné la permission de lire des nouvelles durant la fin de semaine alors que j'étais sorti â l'extérieur de la ville?"

Bernard tout décontenancé tentait vainement d'expliquer que c'était le directeur de l'information qui lui avait donné cette permission et qu'en plus celui-ci avait promis que le poste lui serait accordé de façon définitive. 

Le directeur, Raymond Perreault, ne tarda pas à démentir les prétendues promesses de son journaliste en chef et continua de sermonner pour le crime grave, selon ses termes, que venait de commettre son opérateur de mise en ondes définitivement trop entreprenant. 

Blanc comme un drap Bernard raccrocha l'appareil et tenta de reprendre son travail de vendeur de quincaillerie. 

Ayant quelque peu repris ses idées et suite aux encouragements et conseils de ses collègues de travail du magasin, il décida que non il ne resterait pas ainsi humilié. Il donnerait sa démission à la radio CKCN en tant qu'opérateur de son. 

Il rappela donc à nouveau le directeur et lui dit:

 "  Monsieur Perreault je ne travaille plus pour vous. Je n'ai pas aimé votre attitude et sachez que je ne suis pas un individu que l'on se lance comme une boule. Trouvez vous un autre opérateur car pour moi CKCN c'est de la M...."

Peut-être plus surpris que Bernard lors du premier appel de son patron, ce dernier resta bouche bée devant cette déclaration surprise se contentant de dire que c'était d'accord et qu'il acceptait le départ de son employé surnuméraire. 

Entretemps notre lecteur de nouvelles d'un jour avait revu en ami le directeur de l'information et lui avait raconté en détails les derniers événements. Déçu par le dernier geste de Bernard il l'invita à reconsidérer sa démission et lui promit qu'il arrangerait les choses. 

" Ecoutes moi bien, donnes moi jusqu'à demain. Je vais jaser avec Raymond Perreault et je te jure que je vais arranger les choses. Tu vas être mon lecteur de nouvelles je t'en fais la promesse." 

Sur ces paroles encourageantes, Bernard décida d'accepter surtout que dans son intérieur il commençait à regretter d'avoir agit un peu impulsivement. Il aurait bien aimé revenir à la station de radio et surtout de devenir le narrateur de nouvelles. Il s'en retourna donc dans l'espoir que Réal-Jean-Couture arrange réellement les choses et effectivement les choses s'arrangeraient. 

Personne ne sait trop comment mais finalement Raymond Perreault accepta que Bernard revienne à la station et il était même prêt â permettre à ce dernier de passer un test de voix en vue de remplacer le lecteur de nouvelles nécessaire. Le test en question était la narration simulée d'un court bulletin de nouvelles d'une durée de deux minutes et qu'il fallait enregistrer sur cassette. Il le passa facilement du moins selon les commentaires de Réal-Jean Couture et notre jeune gaspésien devint alors dès le début octobre I974 à l'âge de 18 ans le lecteur officiel des bulletins de nouvelles de la radio CKCN durant les horaires du soir et de la fin de semaine. 

Il possédait à l'époque quelques caractéristiques bien personnelles. Entre autre celle de prononcer son nom : Bernard Bujolde et en appuyant sur la dernière syllabe de Bujold qu'il prononçait "olde". 

Aussi une autre particularité était son accent acadien qui ne paraissait toutefois pas lors de ses lectures en ondes mais couramment il parlait avec cet accent dans la voix comme le font les Edith Butler. 

Cependant rien du tout n'y paraissait durant les narrations de nouvelles car il avait trouvé une méthode qui en forçant sa voix donnait une consonance pratiquement neutre de sa diction. 

Réellement Bernard était heureux et probablement encore plus parce qu'il possédait maintenant une responsabilité que jamais personne dans sa famille n'avait eu auparavant à part peut-être Geneviève Bujold vedette du cinéma avec qui il avait des liens de famille mais de descendance indirecte. 

Il était très fier en tant que gaspésien d'avoir dépassé les limites et d'être devenu partiellement un présentateur de radio. 

Tout ira ainsi pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu'en février de l'année suivante, soit quelque cinq mois plus tard. D'une part l'emploi qu'il occupait chez Roco Inc. était d'une certaine façon contractuel. En ce sens qu'au moment de son engagement le directeur Elysé Lanteigne l'avait bien prévenu que dès février la compagnie fermerait définitivement ses portes. Ainsi on ne pouvait assurer du travail que pour les quelques mois précédant la fermeture de février. 

Avec l'arrivée de ce jour, il voyait aussi arriver le scénario de l'été dernier où il avait dû se chercher un emploi et le souvenir. des nombreuses portes se refermant devant lui refaisait également surface. 

Néanmoins cette fois il aurait plus de chances de son côté car le travail de ces derniers mois lui avait permis de faire la connaissance de nombreuses personnes du monde des affaires et ceux-ci avaient tous promis de l'aider à repartir au plan travail. Plusieurs lui avaient même fait des propositions concrètes d'emploi. 

Mais lorsque l'on est jeune l'on doit apprendre et bien souvent cette initiation coûte chère. 

La plupart des offres de travail faites à Bernard provenaient du monde de l'assurance-vie. La verve et l'entregent de celui-ci avaient vivement intéressé plusieurs courtiers qui étaient persuadés qu'il ferait un excellent vendeur dans leur organisation. 

Malheureusement pour l'intéressé tout n'était pas si simple. Le besoin de sécurité toujours présent chez Bernard lorsqu'il est devant une nouvelle situation ou de nouvelles personnes fut le premier responsable de ses problèmes. Le simple fait que le salaire d'un vendeur d'assurance soit conditionné par le nombre de ventes réalisées et qu'ainsi la paye hebdomadaire ne soit jamais fixe  inquiéta tellement notre jeune chercheur d'emploi celui-ci décida finalement d'accepter l'offre la moins alléchante de celles qu'il avait reçues mais aussi de loin la plus sécuritaire. Il devint vendeur pour une firme de pièces automobiles. C'est un gérant de filiale d'une compagnie américaine, United Auto Parts mieux connue sous le nom de U.A.P. qui lui avait fait cette proposition d'emploi. Ce gérant un dénommé Robert Lavoie avait rencontré notre ami par hasard à la quincaillerie et lui avait ouvertement proposé de devenir l'un des vendeurs de son équipe. 

Le côté sécurisant et en fait peu exigeant de l'offre avait séduit Bernard qui l'avait acceptée quelques jours après. 

Et son père, qui continuait à guider son poulain à distance, avait été l'un des premiers à lui déconseiller de s'embarquer dans le monde de l'assurance-vie. Selon lui il n'y avait rien de bon en ce domaine et son fils devait plutôt regarder du côté plus solide financièrement des entreprises de vente bien établies. Les pièces automobiles étaient pleinement dans le cadre envisagé et il n'avait pas hésité un instant à pousser dans les bras de ce Robert Lavoie, gérant de U.A.P. de Sept-Îles. 

Jamais Bernard ne regretterait autant une décision que celle-là. Et assez curieusement il resterait à l'emploi de cette entreprise pendant plus d'un an méditant sur son malheureux sort et ayant toutes les peines du bonde à sortir du carcan qu'il s'était lui même créé. L'emploi de vendeur pour U.A.P. fut un échec total principalement parce qu'il était trop préoccupé par l'idée de gravir les échelons du monde radiophonique. 

Mais le pire arriva quand le directeur de CKCN lui annonça que la direction de la station avait pris la décision de le remercier de ses services en tant que lecteur de nouvelles. 

Les raisons ? Il n'y en avaient aucune en particulier sinon qu'on avait effectué des modifications dans l'ensemble de la programmation. 

Ce qui déçu encore plus notre malheureux journaliste en herbe c'est que rien ne laissait présumer de pareil geste. Encore quelques jours auparavant ce même Raymond Perreault lui avait parlé des possibilités de devenir un présentateur régulier.Idée à laquelle Bernard s'était rattachée et qu'il berçait dans son esprit puisque dans con travail de vendeur tout allait de travers. Et voilà que sans avertissement on lui apprenait que la responsabilité à laquelle il tenait le plus au monde lui était tout simplement enlevée. 

La fin du monde n'aurait pas été plus tragique.

Cependant dans la réalité on aurait pu prévoir un pareil geste. Premièrement depuis quelques temps Bernard connaissait quelques problèmes avec sa voix, principalement au niveau des cordes vocales.Ce n'était pas tellement son accent acadien mais plutôt des problèmes biologiques. Il connaissait des difficultés à placer les intonations sur un juste niveau de résonance et bien souvent certains des mots prononcés étaient inaudibles. 

On peut aussi présumer que Raymond Perreault n'avait non plus oublié les prises de bec qu'il avait eu avec lui quelques mois plus tôt et s'il avait à l'époque accepté de reprendre ce dernier dans l'équipe c'est sûrement parce qu'il y avait une ou des raisons inconnues tenant de la fameuse rencontre a huis clos entre Couture et lui-même me, Raymond Perreault. 

Parallèlement à son renvoi de CKCN, exactement le 9 février 1975,1a situation se gâtait de jour en jour chez U.A.P. et le directeur Robert Lavoie avait finalement dû avouer à son jeune vendeur que selon lui il n'était pas fait pour le travail dans les pièces automobiles. 

Son manque d'intérêt était trop évident et il lui conseilla de se trouver un autre emploi répondant mieux à ses objectifs personnels comme à ceux de la compagnie. Pourquoi ne pas retourner aux études lui suggéra-t-il ajoutant même : 

" Si la radio t'intéresse mon vieux alors pourquoi ne pas y aller ? Il doit sûrement y avoir des écoles qui enseignent ce genre de travail."

"Et tu sais l'important dans la vie c'est de faire ce que l'on aime. Toi ça saute aux yeux tu n'aimes pas ça ici. Ce n'est pas de ta faute t'es ainsi fait."

Mais les événements malheureux étaient trop rapides pour la capacité de résistance de Bernard qui voyant toutes les calamités s'abattre sur lui se raccrocha à ce dernier emploi de vendeur et entrepris de démontrer qu'il était intéressé par cette responsabilité dans l'automobile. Il prétexta les différents problèmes qui l'assaillaient et promis qu'à l'avenir il mettrait un peu plus de coeur à son ouvrage . 

Le gérant accepta de lui donner une autre chance et lui permis de demeurer dans son équipe de vendeurs. Pourtant au cours des mois qui suivirent même s'il avait réussi à satisfaire la direction de U.A.P, en tant que vendeur, son âme n'y était pas et n'y sera d'ailleurs jamais durant le reste de son séjour chez cette entreprise. Notre jeune martyre de la radio méditera sa mauvaise fortune et cherchera la solution miraculeuse. Solution qui viendra, mais très lentement et très difficilement. 

Bernard petit à petit se remis de ses émotions et recommença son entraînement sportif en fréquentant principalement le gymnase municipal de Sept-Iles. 

Au fur et à mesure que les semaines passaient, il reprenait également confiance en lui et en son esprit les projets d'avenir recommençaient à faire surface. Bientôt il forcerait son destin à nouveau et il réussirait à obtenir dans le sport organisé un emploi à titre d'entraîneur d'éducation physique. Ce serait son tremplin, lui qui cherchait désespérément à connaître le pourquoi de la guigne qui s'était abattu sur lui depuis les derniers mois.

Il finit d'ailleurs bien par le comprendre. Si jamais il voulait réussir dans la vie et passer au travers des obstacles de celle-ci, il devrait apprendre à faire disparaître ce sentiment de crainte face aux défis et il devrait être capable de foncer parfois tête baissée. Il n'y avait pas de place sur cette terre pour ceux qui ont peur d'oser devant l'imprévu. 

De cette phrase il en ferait son principe de base.






           

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CHAPITRE QUATRE 
Professeur de conditionnement physique et les chroniques 
Sport Santé


C'est en juin de 1975, en cette période où Bernard Bujold méditait sur sa situation et tentait de l'analyser, que se dessina dans une forme un peu plus visible le destin qu'il aurait à accomplir moins de trois ans plus tard en devenant journaliste parlementaire à l'Assemblée nationale du Québec. 

Un destin depuis quelque temps en gestation, mais qui devrait comme tous les destins lourds à porter, connaître une initiation de la vie à un rythme plus qu'accéléré et bien souvent présenté avant son terme. 

Le travail de vendeur chez U.A.P. lui permettait d'avoir plusieurs moments de temps libres. Ces périodes il ne les gaspillait pas et tentait par tous les moyens de redresser la barque dont il avait la responsabilité et essayait de trouver â l'intérieur même de cette ville de Sept-Îles, des gens qui accepteraient de lui donner une autre chance pans le monde professionnel et si possible celui de la radio. 

Indirectement cette chance il l'obtiendrait, entre autres d'un promoteur de l'endroit,Guy Marcheterre président et propriétaire d'une agence de publicité locale. 

Mais auparavant il devra refaire surface dans le monde du sport où il avait quelques années plus tôt excellé à titre de participant; en particulier comme boxeur. ( Cette carrière de pugiliste n'aura jamais dépassé le stade des rencontres amateurs, car finalement Bernard lui-même s'aperçut qu'il pouvait être dangereux pour lui de pousser trop loin sa participation dans ce sport étant donné sa constitution physique plutôt moyenne. ) 

Cette fois il serait entraîneur sportif. 

Depuis quelques mois celui-ci s'entraînait presque quotidiennement avec des poids et altères en compagnie de quelques autres employés de la Cité des Sept-Îles.Il se lia fortement d'amitié avec un animateur du Service des Loisirs, un certain Laurent Imbeault. Ces derniers s'entendaient assez bien sur la définition des principes sportifs et avaient également su se créer un respect mutuel. Bernard en arriva finalement un jour à confier à Laurent qu'il n'aimait pas sa situation de vendeur chez U.A.P. Cette responsabilité de vendeur de camelote automobile le rendait maussade et dès le moment où il pourrait trouver autre chose, il n'hésiterait pas un moment et il ferait le saut. 

Il faut bien dire que selon les critères d'évaluation du marché de l'automobile, les pièces vendues par la firme U.A.P. étaient d'excellentes qualité, toutefois pour Bernard c'était tous du pareil au même et il considérait cela comme de la camelote.

L'un des domaines où il aurait bien aimé distribuer ses services professionnels était le sport organisé.I1 se demandait même s'il n'était pas destiné à faire carrière dans les loisirs et si en fin de compte il ne deviendrait pas le propriétaire de gymnase qu'il avait déjà songé devenir quelques années plus tôt. Il n'hésita donc aucunement à souligner à son nouvel ami que si celui-ci pouvait lui trouver une responsabilité quelconque à l'intérieur du Service des Loisirs, qu'il l'accepterait immédiatement. Il n'était pas nécessaire que le poste offert en soit un de directeur. N'importe quoi ferait l'affaire et une fois dans la place il se chargerait bien assez vite de démontrer son habilité et potentiel sur le plan du sport organisé. 

Une ouverture était effectivement disponible, d'ailleurs dans la réalité plusieurs l'étaient, mais pour bien des cas les responsabilités à combler était des tâches sans rémunération. Cependant un poste d'entraîneur sportif spécialisé en haltérophilie était sur la liste de besoin d'embauche pour que l'on soit dans la possibilité de mener à bien un nouveau programme du calendrier d'activités du Service municipal du Loisirs. Travail pour lequel on accordait une certaine forme de rémunération. 

Laurent en souffla donc un mot à Bernard en lui disant : " Je pense que j'ai quelque chose pour toi. Responsable d'un groupe de jeunes pour les entraîner à la compétition dans l'haltérophilie. Ça t'intéresse ? " 

Très certainement que la chose l'intéressait. Toutefois un problème se posait. Il avait bien une certaine expérience dans l'entrainement avec poids et haltères, mais dans l'haltérophilie c'était autrement. Cette discipline consiste à soulever un poids au-dessus de ses épaules. Le poids est fixé sur une barre et c'est celui qui lève le poids le plus lourd qui gagne la compétition. Souvent les pesanteurs atteintes se situent entre 400 et 500 livres. 

Pauvre Bernard lui qui ne pesait qu'environ 125 livre, il se demandait bien si sa personne ne serait pas ridiculisée dans ce nouveau rôle. 

Enfin rien mieux pour le savoir que d'essayer et de voir ce qu'il en était. 

Néanmoins il se prépara bien à cette nouvelle tâche et dès le lundi suivant il communiqua par courrier avec les entreprises Weider avec qui il avait conservé quelques contacts et il leur demanda de lui faire faire parvenir toute la documentation disponible sur l'haltérophilie. De plus il passa ses soirées précédant le lever de rideau devant ses nouveaux élèves, à feuilleter et étudier quantité de bouquins traitant de cette mystérieuse discipline de l'haltérophilie. 

Le fameux soir de vérité fut finalement un succès. Le groupe de supposé hommes forts n'était composé que d'une vingtaine de jeunes adolescents au physique rassurant et aucunement ressemblant à celui "d'armoire à glace " 

Les participants qui s'étaient inscrits à cette activité l'avaient fait plus par curiosité ou pour passer le temps qu'autre chose. Bernard pu donc commencer en toute confiance l'explication des principes supposément secrets du mystérieux leveur de poids. 

Son entregent et sa facilité de contact ne furent pas non plus un handicap pour approcher les participants. Même qu'à l'occasion il sortait son accent acadien qui amusait bien le groupe. 

Ces jeunes athlètes amateurs voyaient en lui un entraineur normal et ils ne se posaient nullement de questions sur sa taille physique ou sur ses qualifications antérieures. Eux-mêmes n'étaient âgée que de 15 ou 16 ans en moyenne. 

Plusieurs se mirent même à devenir bon copain avec lui. Il força d'ailleurs un peu la note sur cette amitié surtout lorsqu'il s'aperçut que plusieurs de ses élèves possédaient des soeurs passablement attirantes et qui semblaient également intéressantes au plan personnalité! 
"Il faut bien tirer profit de ses amis " disait-il souvent à ses élèves. 

Ce cours d'haltérophilie ne connut aucun problème majeur. Le prof Bujold s'était bien documenté et avec son expérience personnel du sport amateur il avait su organiser un programme de cours qui se suivait bien et s'échelonnant vers une maîtrise sommaire de cette discipline. L'expérience fut même réussit à un tel point que notre expert décida d'en élargir le cadre et ceci de façon très importante. 

L'idée vint à Bernard au cours d'une journée de congé où il avait passé l'avant-midi à son appartement, question de remettre un peu d'ordre dans la baraque qui commençait à ressembler plus à un bateau en détresse qu'à une pension. Ajoutons que son ami Michel s'était installé dans un appartement bien à lui depuis quelques mois ce qui fait que Bernard devait s'occuper seul de ce grand logement qu'il avait commencé à occuper dés son arrivée à Sept-Îles. 

Alors qu'il écoutait d'une oreille distraite son appareil de télévision, il s'arrêta un moment pour reprendre son souffle. L'émission en cours de diffusion était une série sur l'alimentation avec comme animatrice la bien connue Juliette Huot. Elle recevait des invités et expérimentait avec eux diverses recettes qui selon la réaction des participants devaient être excellentes à déguster. Soudain Bernard eut l'idée choc, qui s'avérerait par la suite réellement intéressante, que l'animation de chroniques sur l'haltérophilie pourrait tout aussi bien se faire comme il s'en faisait sur l'alimentation, chroniques qu'il voyait présentement à son petit écran. 

Même que l'on pourrait en élargir le cadre et étendre cette émission non seulement â l'haltérophilie, mais à tout le domaine sportif en faisant surtout des rapprochements au plan scientifique. L'on pourrait présenter ces recherches sous la forme d'émissions quotidiennes. L'idée semblait intéressante et valait la peine qu'on essaie de la réaliser concrètement. 

De retours â son travail le lendemain il s'empressa d'entrer en communication avec un publiciste de l'endroit qu'il savait affilié avec une station de radio de Sainte-Anne des Monts. Ce dernier devait trouver régulièrement des clients acceptant d'annoncer leurs produits sur les ondes de la radio en question. 

Bernard ne connaissait pas personnellement ce publiciste, mais il se servit de ses talents de vendeur pour briser la première glace. Il n'y alla d'ailleurs pas par deux chemins et il proposa directement au directeur d'agence; un certain Guy Marcheterre à l'époque le président de Publinord, son projet d'émissions radiophoniques sur les sports. Il soumit l'idée en présentant le contenu de l'éventuelle émission comme étant le résultat de travaux de recherches sur le sport organisé et la santé physique. Il pensait à une série de dix ou quinze émissions d'une durée de quatre ou cinq minutes chacune et qui seraient réalisées et animées par lui-même Bernard Bujold, un expert en conditionnement physique et ancien lecteur de nouvelles pour la radio locale. 

Il avait même ajouté qu'en plus pour cette série, si on pouvait trouver un commanditaire pour payer la diffusion, il n'exigerait personnellement aucun pourcentage pour la production. 

Le gérant de l'agence de publicité, agence il faut bien le dire petite et qui tout en étant très fonctionnelle et procurant des revenues alléchants à son propriétaire, ne possédait qu'un vendeur en plus de monsieur Marcheterre lui-même et une secrétaire jouant le rôle de téléphoniste et de responsable de la correspondance. 

Le gérant accepta donc volontier la proposition qui lui était faite, du moins l'idée générale.Toutefois il voulait aussi en tirer profit. Il suggéra alors à Bernard de laisser dormir le projet quelques jours au plus, question de lui permettre de trouver un commanditaire qui accepte de payer pour la diffusion. 

Les deux hommes s'entendirent pour se recontacter dans les jours à venir, trois ou quatre au plus, et qu'entretemps chacun de leur côté ils joueraient du coude pour dénicher un financier charitable.

Personne ne sait si notre magnat de la publicité chercha assidument un commanditaire pour l'émission ni même s'il avait réellement pris au sérieux l'idée qui lui était proposée toutefois Bernard mit toutes ses ardeurs pour trouver le marchand nécessaire. 

On était au mois de septembre 1975 et comme ses services avaient été plus qu'appréciés lors des séances d'haltérophilie, Laurent Imbault lui avait demandé s'il était intéressé à tenir le rôle de professeur de conditionnement physique durant la prochaine session d'activités du Service municipal des Loisirs. Le groupe d'élèves serait cette fois des adultes et la matière enseignée serait le jogging intérieur. 

Chaque saison pareille activité comptait plusieurs adeptes et la direction municipale avait même dû, au cours des ans, cloisonner les participants en deux groupes différents. L'un venait s'entraîner à six heures du matin et l'autre prenait la relève une heure plus tard à sept heures. Pendant ces soixante minutes, sous la direction d'un moniteur, une vingtaine de personnes hommes et femmes, se soumettaient à une séance complète de conditionnement physique allant de divers exercices d'assouplissement à la course à pied durant les dix dernières minutes. 

Bernard avait accepté avec joie une pareille responsabilité surtout qu'ordinairement, c'est un véritable professeur d'éducation physique qui l'occupait ou encore un individu fortement qualifié dans une discipline de la santé.

L'année précédente c'est un dénommé Denis Aurey, un physiothérapeute de carrière qui avait délaissé son travail dans la santé pour s'occuper de la direction des arénas de Sept-Îles. C'était donc tout un honneur pour Bernard que d'occuper ce poste d'entraîneur sportif. Et si notre jeune gaspésien n'avait pas de formation véritable en éducation physique il avait par contre une bonne connaissance de l'activité physique, étant d'ailleurs lui-même un adepte du conditionnement physique, et il n'avait pas tardé à élaborer un programme complet et bien étoffé où les participants se voyaient soumis à divers exercices des plus bienfaisants. 

Vraisemblablement tout ira pour le mieux. Notre jeune professeur n'aurait toutefois pas à s'occuper seul de l'animation de ce cours.
Conjointement avec le service de l'éducation aux adultes de la Commission scolaire de la ville de Sept-Îles, le service des loisirs avait décidé de ne présenter qu'un seul cours de jogging matinal. On décida de s'associer mutuellement et de présenter le programme en un seul et même endroit. De ce fait Bernard, retrouverait à ses côtés comme entraîneur, un professeur attaché â l'administration scolaire, ce dernier était un véritable professeur d'éducation physique fortement qualifié suite à de longues années d'étude à l'université et pour qui le respect des principes n'était pas de moindre importance. Pour lui l'activité physique devait être la responsabilité de gens sortant des universités et on ne pouvait prétendre maîtriser les techniques sportives par une seule prise de contact direct même si l'individu y mettait la meilleure volonté du monde ou était doué des plus belles aptitudes possible. 

Notre érudit accepta toutefois, bon gré mal gré, la présence de Bernard et alla même jusqu'à le conseiller amicalement et le guider lors des premières prises de contact avec le groupe. 

Les deux collègues se partagèrent les horaires et il fut décidé que lui, Hermel St-Amand, s'occuperait de la première séance, celle de six heures, et que Bernard aurait celle de sept heures. 
Tout se déroula très bien. Il faut bien dire qu'une fois le rythme de la première séance obtenu, la présentation des autres n'était qu'un jeu d'enfant. 

Bernard y voyait d'ailleurs une forme d'animation et de devoir soutenir pendant une heure entière la participation d'un groupe cela ne faisait qu'ajouter l'intérêt et augmentait ses connaissances dans l'art des communications publiques et indirectement de la radio qu'il n'avait pas oubliée. 

Lors de ces séances il se lia encore une fois d'amitié avec un homme d'affaires qui était le propriétaire d'une filiale de Canadien Tires Corporation laquelle était installée à Sept-Îles. Cet individu s'était inscrit au cours de conditionnement physique question de reprendre sa forme. Ce dernier un certain Jeffrey Frenette s'entendait bien avec Bernard mais sans qu'il n'en déborde d'un simple bonjour amical ou d'un comment ça va?

Néanmoins notre vendeur ne laissa pas les choses là . Il s'occupa personnellement de ce monsieur Frenette et encore plus lorsqu'il vu en lui la possibilité d'un financier pour son émission sportive. Pourquoi se disait-il ne pas en profiter et joindre l'utile au nécessaire. Un magasin Canadian Tire a besoin comme la plupart des marchands de publicité directe. Il serait donc facile pour le gérant de diriger certaines parties de sa publicité sur l'émission sportive et il ne lui en aurait pas coûté plus cher à la fin.Il aurait même rendu service. 

Un bon matin notre jeune ami se décida et souligna directement au directeur de Canadian Tires qu'il avait pour lui une offre intéressante. Il avait en tête un projet d'émissions à caractère local et la station qui était prête à le diffuser voulait un commanditaire. Comme déjà son magasin était client de cette station,, il souligna qu'il avait pensé que Canadian Tire pourrait être le financier de l'affaire. Le directeur ne se montra pas négatif. Il accepta même de rencontrer le vendeur de l'agence de publicité, celle de Guy Marcheterre, et si on pouvait s'entendre sur les coûts celui-ci accepterait d'appuyer monétairement le projet d'émissions. C'est du moins ce qu'il avait laissé entendre. 

Le directeur de Canadian Tire et celui de l'agence en vinrent effectivement â une entente, mais légèrement différente de celle que Bernard avait envisagée. Selon les prévisions initiales, la série de chroniques devait être réalisée gratuitement. Le commanditaire aurait seulement à payer pour les frais de diffusion en échange de publicité. L'entente qui fut conclue officiellement stipulait que la série au lieu d'être de dix ou quinze émissions serait illimitée, du moins pour une première période de six mois et ensuite le contrat était renouvelable, et le plus intéressant de toute l'affaire; on avait décidé d'accorder une rémunération question d'encourager le jeune producteur dans son travail. 

Celui-ci était bien sûr très heureux de la tournure de l'affaire et ce n'est certainement pas lui qui irait se plaindre du fait qu'on lui accordait une forme de rémunération pour ce travail. Rémunération il faut l'avouer qui n'était pas tellement élevée, mais soulignait le côté professionnel que prenait ses activités dans le sport organisé et la radio. 

Il fut par la suite décidé que l'on intitulerait la série: "Sport Santé". L'heure de diffusion était fixée à sept heures quarante-cinq le matin, heure excellente si on tient compte de l'arrivée au travail des ouvriers ou employés de bureau. La durée de chaque chronique devrait être d'une minute et au plus deux minutes. Elle serait diffusée quotidiennement du lundi au vendredi. 

Les premières présentations de Sport Santé à la radio de Sainte-Anne des Monts connurent une certaine réussite bien qu'il fallut un rodage de début. Les principaux problèmes se situaient au niveau de la production sonore qui n'était pas très fidèlement reproduite. Bernard utilisait un magnétophone personnel qui vraisemblablement n'était pas de bonne qualité, car après qu'il s'en être procuré un nouveau, les problèmes de tonalité disparurent presque totalement.

Il est peut-être important de souligner que les émissions radiophoniques étaient préparées et enregistrer à l'avance sur bobines magnétiques. Généralement on enregistrait une trentaine de chroniques sur une même bobine ce qui permettait une meilleure planification pour les techniciens de CJMC. À part les légers problèmes techniques du début, tout alla pour le mieux. 

Vraiment Bernard était fier de lui, car il avait une fois de plus forcé son destin et réussit à mener à bon port une de ses idées personnelles. La question était de savoir jusqu'où irait cette veine de succès. Il était toutefois évident qu'il avait le vent dans les voiles et décida d'en profiter. Il pensa que si on pouvait produire une émission pour une station, on pouvait tout aussi bien réaliser cette même émission pour plusieurs stations. Il eut donc l'idée de présenter son projet à différentes directions de stations radiophoniques situées un peu partout â la grandeur de la province tout aussi bien celles de la région de Montréal, Trois-Rivières, Québec que de la Gaspésie. Il envoya des essais sur cassettes où deux ou trois chroniques étaient enregistrées. Il proposait, dans une lettre accompagnant l'envoi, de produire pour la station une série complète de chroniques sportives et en échange il demandait une légère rémunération calculable à l'acte c'est dire un coût pour chacune des chroniques. En tout une dizaine de stations furent sensibilisées. 

Intérieurement, même s'il rêvait un peu au succès de cette entreprise, notre narrateur scientifique se disait bien que personne n'accepterait d'être preneur. Les résultats ne seront pas totalement positifs, mais pas négatifs non plus. Cependant il devra attendre pour en être conscient et il connaîtra bien des aventures avant d'en arriver à voir sa chronique diffusée par plusieurs médias de la province. 

Quelques mois après ce succès à la radio de Sainte-Anne des Monts et alors qu'il s'occupait toujours avec habilité de la présentation des cours de conditionnement physique pour adultes le matin, il couronnera pour ainsi dire son oeuvre en réussissant à quitter son poste de vendeur chez U.A.P. pour devenir l'un des responsables aux arénas de la ville de Sept-Îles. Une responsabilité importante, mais qui ne s'obtiendra pas sans problème . C'est une autre idée imprévue qui lui permettra d'ouvrir les portes de cet employeur la Cité des Sept-Îles, et d'occuper ainsi un travail qui lui fournirait quelques moyens supplémentaires pour gravir encore quelques marches dans le monde des communications qu'il n'avait que partiellement frôlé des doigts, mais avec qui, le grand amour semblait s'être créé dès la première rencontre.



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CHAPITRE CINQ
Administrateur des arénas de 
Sept-Iles


Bernard Bujold devint administrateur aux arénas de Sept-Îles le 22 novembre 1975.I1 était âgé de 19 ans. 

Ce nouveau poste, il l'occuperait pendant une année entière. 

La véritable responsabilité qu'il avait obtenue en était une de commis. Il devait voir à la préparation technique des processus de vente des billets, à la comptabilité de celle-ci, la surveillance du travail des ouvriers d'entretien, bien qu'il ne leur donnait aucun ordre direct, tout devait passer par le superviseur général.

L'accueil des usagers des arénas au plan administratif et la publicisation de certaines activités présentées dans les amphithéâtres étaient aussi au nombre de ses tâches principales. 

Bernard était sous les ordres directs du superviseur général des arénas; un certain Denis Auray. Ce dénommé Auray, il le rencontra pour la première fois alors qu'il était allé fureter du côté des patinoires couvertes de la ville. Question de se délier les jambes, il avait chaussé les patins et il lançait quelques rondelles sur les bandes. Il aperçut alors un petit bout d'homme d'à peine plus de cinq pieds de hauteur qui arrivait en trombe et qui s'était arrêté pour discuter avec deux des employés responsables de l'entretien de la surface glacée. Visiblement il était leur patron. L'allure pressée de cet individu avait comme séduit Bernard qui n'avait pu s'empêcher de rêver au bonheur que pouvait bien avoir ce type qui possédait sous sa propre responsabilité les deux magnifiques amphithéâtres de cette ville. Comme il devait être agréable et utile de pouvoir donner suite à son initiative personnelle sur le fonctionnement de ces installations. 

Être toujours plongé dans cette ambiance sportive qui a quelque chose d'envoûtant surtout lorsque l'on se promène dans les gradins. Tout autant qu'il peut être agréable de se trouver au milieu d'un aréna lorsqu'il y a foule; des sensations tout aussi incomparables sont ressenties lorsqu'on s'y promène les sièges complètement vides. 

Bernard ressentait tout cela et en quelques minutes il en fit la projection dans son esprit. Les choses en restèrent là jusqu'au jour où de retour à son travail de vendeur chez la firme de pièces automobile il eut à servir un acheteur qui dans ses moments de loisir s'occupait du hockey organisé à Sept-Îles. Tout le paysage des arénas refit alors surface dans son esprit, Un peu plus tard leur conversation, porta indirectement sur les disponibilités d'entraînement pour les jeunes hockeyeurs de l'endroit et sans aucun doute les deux, lui et l'acheteur, prenaient plus de plaisir à parler de sport qu'à marchander pour des prix de vente. 

Quelques heures après leur rencontre Bernard eut une idée qu'il jugeait intéressante parfois et qu'il pouvait même comparer à celles qu'il avait souvent et qui se réalisaient concrètement en divers projets. Encore une fois cet éclair d'ingéniosité serait utile et améliorerait sa situation personnelle. Cependant comme pour les fois précédentes, le résultat final ne serait pas tout à fait semblable à celui envisagé au départ. 

Dans plusieurs villes durant la saison d'été certains professionnels du hockey participent en tant que moniteur à des stages appelés: "Écoles estivales de hockey sur glace". Les jeunes hockeyeurs de l'endroit visité s'inscrivent â ces sessions pour une période d’une ou deux semaines durant lesquelles ils sont soumis à différents types d'exercices devant leur permettre d'améliorer leurs techniques en hockey et leur habilité générale à s'exécuter sur une surface glacée. Les jeunes participants paient un coût variant aux alentours de $I00.00 par semaine, coût comprenant à la fois le prix de la pension et celui du droit de participation aux activités. 

Inutile de dire que pour les organisateurs de pareilles sessions, il y a quelques dollars à gagner. 

Bernard se disait qu'il serait sûrement possible de présenter de telles séances dans une ville comme Sept-Îles. Aucune n'y était actuellement programmée et c'est précisément ce point qui l'amena à croire qu'il pourrait tout simplement innover en la matière et lancer le premier, une opération du genre pour les jeunes hockeyeurs de la région. 

Financièrement il en tirerait des bénéfices, mais surtout il pourrait se tremper dans l'ambiance du sport organisé durant deux bonnes semaines, en plus des longues périodes de préparation que cela aurait exigées et où il aurait côtoyé divers experts du hockey professionnel. Et de plus en plus il devenait évident qu'au cours de ces préparatifs d'avant-présentation, les amitiés qu'il lierait et les nouveaux contacts qu'il établirait pourraient lui servir pour se trouver une responsabilité professionnelle répondant mieux à ses aspirations que l'emploi principal qu'il occupait présentement, vendeur, et qui ne lui plaisait toujours pas. 

Il commença donc dès cet instant à planifier un possible plan de réalisation pour ce stage de hockey estival. Certes nous étions au début de l'automne, en octobre I975, mais rien n'interdisait de commencer à planifier pour l'été prochain. 
Il savait bien que plus grand et difficile est un événement plus long doit en être la préparation si on veut connaître le succès. 

Après avoir sommairement établi un genre d'esquisse il se décida à contacter ce fameux directeur des arénas avec qui il n'avait jamais engagé la conversation n'en ayant pas eu l'occasion. C'est par téléphone qu'il fit sa première approche. Il lui parla de son implication dans le sport entre autre avec sa chronique Sport—Santé et aussi son travail d'éducateur physique, puis il lui souligna globalement le fait qu'il avait en tête un projet susceptible de l'intéresser. 

Les deux, lui-même et son interlocuteur en tant que directeur des arénas, pouvaient en tirer parti autant sur le plan financier que social. 

Il lui décrivit enfin l'ensemble de cette idée comme étant l'organisation d'une école estivale de hockey sur glace. 

Le responsable des arénas se montra très intéressés et alla même jusqu'à inviter Bernard à venir le rencontrer seul seul pour discuter plus sérieusement du projet. L'endroit qu'il jugeait idéal était son propre domicile où on y serait tranquille et loin des oreilles indiscrètes. 

Bernard fut lui aussi de cet avis et appuyait l'idée d'une rencontre au domicile du directeur. Ce lieu résidentiel conviendrait beaucoup mieux pour délibérer sur l'idée proposée que les bureaux agités du complexe sportif. La rencontre fut fixée à quelques jours plus tard en début de soirée après les heures de travail de chacun. 

Une chose dont il n'avait cependant pas parlé dans son approche, chose d'ailleurs responsable de son intérêt accru pour le hockey depuis les récents mois, c'est qu'en juin dernier alors que ce poste de directeur d'arénas était vacant et que la ville avait fait publier des avis de recherche pour de nouveaux candidats il n'avait pas hésité un instant à placer son nom en lice même si dans le fond il y croyait plus ou moins. Il n'avait que I8 ans, on était au début de juin et Bernard étant né le 28 juin il n'avait pas encore atteint ses 19 ans, et la plupart des autres candidats ayant postulé étaient tous des gens hautement expérimentés par les affaires et dont la maturité atteignait les 35 à 40 ans. 

Vraiment le calibre était au-dessus de sa taille à lui, mais peu importe s'était-il dit, il avait décidé de jouer ses cartes sachant bien que des idées osées débouchent parfois sur de grandes réalisations concrètes. Malheureusement cette fois la chance n'avait pas été de la partie et malgré l'accueil chaleureux de la direction municipale, Bernard avait bien compris la teneur de leur décision quand celle-ci avait souligné qu'elle admirait le courage et l'audace de leur jeune candidat, mais les deux arénas de la ville utilisaient des budgets de plus de 500,000$ par année et qu'en considérant ce point précis on avait besoin d'un individu fortement habile et trempé dans le milieu de l'administration publique. 

Rien n'empêchait cependant notre ami de postuler pour un autre emploi peut-être moins lourd et on l'avait même invité à soumettre son nom lors des prochains concours d'emploi. Pour le moment aucun poste précis n'était à combler, mais qui sait dans un avenir rapproché peut-être y en aura-t-il un ? C'est ce qu'avait laissé entendre le directeur général du service des loisirs qui était â l'époque monsieur Norbert Lévesque qui prendrait d'ailleurs sa retraite en fin d'année 1978. 

On était à la fin octobre de 1975 et la fameuse soirée fixée pour la rencontre Auray-Bujold arriva enfin. Armé de sa confiance aveugle et munit d'un dossier explicatif d'une dizaine de pages sur l'ensemble de l'idée qu'il lui avait vaguement présentée par téléphone, Bernard se présenta au domicile de Denis Auray. Très chaleureux celui-ci invita son visiteur à passer dans son sous-sol après l'avoir aimablement présenté à son épouse et à ses enfants. Il en avait trois à l'époque, deux garçons et une fille, Martine Auray, avec qui Bernard deviendra par la suite très bon copain. C'est même elle en une occasion qui arrangera la rencontre d'une autre fille amie de Martine et pour qui il montrait un certain intérêt. 

Après la présentation tous deux, Bernard et Denis Auray, se rendirent au sous-sol, endroit de retraite du directeur sportif et où il y avait exposé une foule de souvenirs sur ses exploits passés et sur divers moments particulièrement importants pour lui. Quelques rangées de livres garnissaient également un pan de mur. Soulignons que pour sa part Bernard était et est encore lui aussi un fervent amateur de lecture ce qui lui est fort utile pour obtenir les diverses responsabilités qu'il se voit confier ou pour simplement pondre les idées qui lui procurent des postes intéressants. à

Le directeur sportif et lui s'installèrent ensuite confortablement devant une bière et discutèrent vaguement de choses et d'autres pendant quelques minutes avant que l'on entre dans le vif du sujet. 

" Écoutez monsieur Auray, la chose pour laquelle je suis chez vous est selon moi et certains collègues une idée monétairement valable. Cette école de hockey peut se réaliser et j'en ai d'ailleurs ici sur papier tous les détails techniques."

Nos deux anis se mirent alors à étudier les quelques documents pour les critiquer chacun à tour de rôle. Denis Auray semblait être agréablement surpris par la teneur de l'idée surtout que plusieurs points techniques expliqués dans le dossier étaient véritablement conformes à la réalité existant dans le monde du hockey organisé. Il le fut encore plus lorsque Bernard, qui avait quelque peu débordé du sujet, souligna à son hôte qu'en juin dernier il avait été l'un de ses adversaires dans la lutte pour le poste de superviseurs des arénas. 

" Malgré son jeune âge, l'individu qui était devant lui devait sûrement avoir quelque potentiel " se disait-il intérieurement. 

L'idée de l'école de hockey était bonne et pouvait rapporter des profits. Cependant c'était sans compter la compagnie : École moderne de hockey, qui présentait annuellement ce genre de stage et s'accaparait plusieurs des vedettes du hockey professionnel.

Gaston Marcotte en a d'ailleurs été l'un des innovateurs. De plus leur expérience dans le domaine leur permettait de présenter les stages d'étude dans plusieurs grandes villes de la province sans un gros risque financier pour les promoteurs de la ville hôtesse. Le projet individuel de Bernard bien que lucratif à la fin, exigeait un important fonds de démarrage d'au moins $5,000.00 Et c'est là que les choses se compliquèrent. 

Financièrement parlant trouver $5,000.00 n'est pas une tâche difficile, mais le risquer sur une organisation qui démarre, là c'est une autre histoire. Denis Auray souligna le danger de jouer ainsi un gros montant d'argent surtout que lui-même ne venait que d'entrer en fonction dans son travail de directeur. Plus tard dans un an ou deux, on pourrait mieux évaluer le degré de risque réel en considérant entre autres l'intérêt des jeunes pour le hockey, mais pour le moment il valait mieux hésiter avant de mettre toute la machine en marche. Cependant Auray avait une autre proposition â faire. La saison de hockey mineur approchait rapidement, rappelons que nous sommes en octobre 1975, et vraisemblablement il aurait besoin pour l'accomplissement de sa tâche de superviseur d'un genre d'assistant. Un individu qui travaillerait de pair avec deux autres employés, l'un responsable du hockey mineur et l'autre de l'administration des arénas au plan de la paperasserie. Le troisième poste qui était a comblé était celui de l'administration technique où l'individu responsable aurait à assister d'une certaine façon le superviseur au plan de fonctionnement et de la présentation des activités sportives. Autant le côté technique des installations immobilières que le côté relations publiques. 

Si les deux premiers postes étaient occupés par des femmes, ce dernier devrait l'être par un homme qui correspondait mieux â l'image d'un responsable sur ce plan, du moins l'image que voulait projeter l'administration municipale. Notons que les deux administrateurs féminins dont il est question sont Jocelyne Deschênes pour le secteur hockey mineur et Ursula Michellaud responsable administratif. 

Denis Auray aborda donc Bernard à ce sujet et lui demanda, tout aussi directement qu'il s'était fait approcher pour l'école de hockey, si un pareil poste l'intéresserait. Le salaire était intéressant, plusieurs avantages sociaux venaient s'ajouter à cela et bien sûr la responsabilité était à plein temps durant toute l'année. 

Ayant presque peur de se réveiller d'un rêve Bernard essayait de s'imaginer la réalité d'un tel travail. Pensez-donc, la personne en question serait dans l'ambiance sportive à longueur de journée et les contacts avec le public ne manqueraient certainement pas. 

Sûrement que l'offre l'intéressait et il ne s'attarda pas longtemps dans ses pensées avant de manifester son accord. Dès le moment où on l'inviterait à entrer en fonction il serait près à y venir. Sur ce Denis Auray lui suggéra d'attendre quelques jours avant de donner sa démission chez U.A.P. Il l'assura cependant que le poste était pour ainsi dire dans la poche et qu'il n'était nécessaire pour commencer à l'occuper que de planifier le processus d'embauche et de présenter le candidat au directeur du personnel de la ville de Sept-Îles. 

L'entretien pris donc fin sur cette note encourageante pour Bernard qui était venu dans l'espoir de vendre un projet plus ou moins sérieux et qui s'en retournait avec certes le projet à l'eau, mais avec une proposition concrète d'emploi à plein temps dans le sport organisé. Vraiment c'était une bonne soirée et même si l'entretien avait duré près de quatre heures on ne pouvait surtout pas dire que ce temps avait été gaspillé. 

Personne ne saura vraiment jamais si ce Denis Auray voulait réellement discuter du projet d'école de hockey. Lui même Aurey ne voudra jamais lever le voile sur ce sujet. Et plusieurs choses tendent à créer un mystère autour de cette offre d'emploi. Premièrement quelques mois auparavant alors que Bernard était l'un des postulants au poste de directeur des arénas, les patrons de la ville avaient fortement été impressionnés par la fougue de leur jeune candidat. Ils lui avaient même conseillé â la fin de l'entretien de revenir poser sa candidature pour un autre poste moins lourd à porter. En plus, il s'était lié d'amitié, au cours des dernières semaines, avec un directeur de ce service des loisirs. Comme il continuait à dispenser les cours de conditionnement physique pour adultes le matin, un certain Henri Roy ,directeur adjoint pour le service des sports, avait été fortement impressionné par son habilité à enseigner le sport. Surtout que le jeune professeur n'avait aucune formation précise en ce domaine. 

À un moment donné Henri Roy parla même de l'émission Sport-Santé qui était diffusée à Sainte-Anne des Monts et la commenta avec éloges.

Ce sont ces deux événements en particulier qui laissent à penser que Denis Auray aurait accepté de rencontrer Bernard précisément pour lui offrir un poste et que tout le scénario avait été planifié â l'avance. L'école de hockey se serait alors présentée comme une occasion imprévue et Auray n'aurait pas manqué la chance de mêler le poisson et de l'amener sur le territoire de l'administration municipale en feintant d'être intéressé par le projet de stage.

Quelque temps après, lui-même Denis Auray avouera qu'il est possible que les choses se soient passées selon cette description toutefois il est tout autant possible que ce ne soit pas le cas. Il laissait le suspens entièrement présent. Il ne fallut pas un long délai avant que notre vendeur de pièces automobile reçoive un appel de son nouvel ami le directeur d'aréna lui annonçant que l'affaire était bouclée. Il n'avait plus qu'à donner sa démission chez U.A.P. et à venir s'installer dans ses nouveaux locaux de travail. 

Ce jour fut l'un des grands moments de joie dans la vie de ce gaspésien. Il pouvait abandonner ce qui avait été sa guigne pendant plus d'un an et suite à ses efforts il pouvait enfin faire un travail qu'il aimerait pleinement. Il était l'animateur de sa chronique Sport-Santé et il continuait à diriger les cours de conditionnement physique pour adultes . Voilà maintenant qu'il deviendrait administrateur d'aréna. Vraiment c'était un grand jour et Bernard, un peu superstitieux de nature et s'attachant à une forme de fétichisme, voyait en celui-ci le commencement d'un cheminement personnel qui le rendrait heureux pour les prochaines années à venir. 

Sa responsabilité aux arénas se présenta comme prévu et les diverses tâches correspondaient en tous points A ce que lui avait laissé entendre Denis Auray. Il commença aux arénas le 22 novembre 1975.I1 avait 19 ans. Il y restera en poste jusqu'en août 1976. 

Durant la période passée à ce travail il établira plusieurs contacts personnels, mais ce à quoi il s'attardera surtout c'est de solidement s'asseoir au plan journalistique et d'augmenter de jour en jour sa compétence en ce domaine. 

Sa position au service des loisirs lui laissait de bons moments de liberté entre autres tous les avant-midi; les horaires aux arénas étaient fixés généralement de 13 heures à 22 heures le soir. Lorsqu'il y avait des activités de présentées durant le week-end, les administrateurs entraient au travail, mais pour se voir accorder des journées de congé correspondantes durant la semaine régulière Ces journées ainsi que ces avant-midi, Bernard les utilisait pleinement à faire des recherches pour la réalisation de ses chroniques sur le sport et commença également à y ajouter une forme de journalisme régional où il commentait l'actualité comme telle.

Sur ce plan c'est le directeur de l'agence de publicité parrainant Sport-Santé qui avait proposé à son collaborateur occasionnel de s'occuper de la recherche de nouvelles ayant un intérêt local à la région de Sept-Îles, Port-Cartier, Hâvre Saint-Pierre et les environs, et d'en acheminer le résultat directement à la station de radio CJMC. Pour ce travail on offrait une rémunération ce qui devenait alors fortement intéressant. 

En ce voyant confier cette responsabilité Bernard pouvait aussi demander son accréditation au Cercle de presse de Sept-Îles ce qu'il ne tarda pas à faire. Un des moments qu'il retient de cette période où il débutait dans le journalisme à proprement parler c'est celui où il fut directement opposé à son ancien directeur d'information de la station CKCN, qui voyait mal un ancien employé collaborer avec une station compétitrice. Car CJMC était un compétiteur direct de CKCN à Sept-Îles. 

La position de Bernard au service des loisirs en était une de choix du moins pour obtenir les nouvelles sportives en primeur. Il ne se gênait pas non plus pour utiliser ses possibilités et chaque fois que l'occasion s'en présentait il devançait les autres journalistes de la région et annonçait des nouvelles toutes fraîches que personne n'avait pu obtenir avant lui et qui dans bien des cas étaient des nouvelles très intéressantes. 

Les journalistes de l'écrit ne firent pas tellement de cas de cette situation surtout que pour eux bien souvent, parce qu'ils ne publiaient qu'une fois par semaine, les délais d'imprimerie les empêchaient de couvrir l'information de façon vraiment complète. Cependant Réal-Jean-Couture de l'électronique lui n'avait pas pris la chose du même point de vue et c'est finalement en pleine rue alors qu'il croisait Bernard par hasard devant l'hôtel de ville qu'il l'accosta à ce sujet. Il ne lui avait pas adressé la parole depuis qu'il l'avait remercié de ses services pratiqueront un an auparavant. 

Il lui demanda sans détour pourquoi et selon quel objectif il avait ainsi commencé à collaborer avec une station de radio qui était la concurrente de CKCN? Pourquoi avoir laissé la radio de Sept-Îles de côté ? La station locale méritait bien avant celle de l'extérieur d'obtenir la collaboration des citoyens de l'endroit et encore plus lorsque ceux-ci sont les employés de la municipalité. 

Les quelques informations sportives qui pouvaient ressortir des activités se tenant aux amphithéâtres se devaient d'être communiquées à la station locale avant tout autre média. Sinon et bien on assistait à de la malhonnêteté on ne peut plus horrible.

Bernard tenta alors de faire comprendre que son rôle aux arénas et celui de journaliste occasionnel pour la radio étaient deux postes complètement indépendants l'un de l'autre. Il souligna aussi à son ancien parrain du journalisme que rien et surtout pas une personne du nom de Réal-Jean-Couture ne pourrait l'empêcher en tant qu'individu d'être le journaliste de CJMC. 

CKCN l'avait remercié il y a plus d'un an, elle devait maintenant s'en mordre les pouces si cet ancien employé leur faisait concurrence. 

Couture s'en alla fou de rage le visage écarlate foncé et promit en criant que les choses n'en resteraient certainement pas là. On allait voir de quel bois il se chauffait et que ce jeune gaspésien verrait bien que l'on ne s'attaque pas ainsi aux gens de la ville. Il en faisait serment sur son honneur. 

Réal-Jean Couture fit surtout des démarches du côté de l'administration locale. Du moins si on en croit les commentaires que Bernard obtenu par la suite de divers de ses patrons. 

I1 leur aurait supposément souligné qu'un employé municipal payé à même les taxes des citoyens se devait de collaborer avec les organisations de cette même localité. CKCN payait d'une part une forte somme de taxes pour cette ville et ceci à chaque année, mais le plus important, c'est que cette station de radio locale annonçait à l'occasion les différentes activités sportives de la ville.

Activités du genre socioculturel ou simplement récréatif. Si certains employés de cette cité des Sept-11es commençaient à faire concurrence à CKCN et mettaient des bâtons dans les roues de celle-ci, alors on couperait tout simplement la collaboration existante entre les deux organismes et le service des loisirs n'aurait qu'à aller voir ailleurs pour publiciser ses activités.

Ces faits n'étaient pas tombés dans l'oreille d'un sourd et on aurait promis à notre vénérable journaliste septilien que l'affaire serait réglée dans les heures suivantes. 

"L'employé Bernard Bujold cesserait toute activité radiophonique ou tout simplement il quitterait son poste aux arénas." C'était l'assurance qu'ils avaient donné sans plus de formalités. 

C'est Denis Auray qui approcha Bernard sur cette affaire. D'une part c'était lui qui avait officiellement fait pénétrer l'employé fautif dans le système et de toute façon celui-ci était sous ses ordres directs. L'administration de la ville lui avait donc confié la mission délicate de l'annoncer à l'employé. 

Il ne tourna pas autour du pot et comme c'était son habitude il dit ouvertement à Bernard pourquoi il avait tenu à le voir seul à seul cet après-midi-là. 

" Écoute vieux,Couture ton chum journaliste m'a appelé.

Bernard ne le laissa pas prononcer un mot de plus et lui souligna que ce Couture n'était surtout pas son " chum ". Journaliste peut-être, mais aucune forme d'amitié n'existait entre eux... 

Il ne donna pas non plus le temps à son patron de continuer et commença à lui raconter l'engueulade de ces jours derniers avec ce Couture en question. Il expliqua aussi à son superviseur qu'il était évident que son travail aux arénas et celui de journaliste amateur pour CJMC était deux choses totalement différentes. Il n'était pas à ce qu'il sache un employé politique de la ville puisqu'il était syndiqué donc de ce fait ses activités hors du travail ne regardaient que lui . Aprés l'avoir laissé parler presque pendant dix bonnes minutes Denis Auray repris la parole, un peu content de ne pas avoir lui-même à aborder le sujet de la discussion qui venait mis sur la table. 

Il dit à son protégé: " Bernard c'est justement pourquoi j'ai voulu te voir cet après-midi, Ecoute j'ai reçu des ordres de la haute gomme de l'administration de la ville. Ton histoire avec Couture s'est rendue jusqu'à eux. Ils sont catégoriques; tu quittes ton émission de radio ou tu quittes le service des loisirs. "

Bernard qui essayait de digérer ces ordres voulut souligner que dans le moins ses chroniques Sport Santé le maintiendraient dans le domaine qu'il affectionnait autant que les sports et que dans le fond c'était un demi-mal. 

" Ce sont toutes tes activités radiophoniques que je veux que tu abandonnes. Autant ton affaire Sport-Santé que le reste " 

Denis Aurey ajouta à cela qu'il aimait bien Bernard; ce dernier faisait bien son travail et démontrait énormément d'intérêt. Il fallait cependant que celui-ci abandonne ses activités radiophoniques, car elles causaient des problèmes politiques à l'administration de la ville. Lui personnellement il prenait parti pour son employé, mais les circonstances le forçaient à demander à ce dernier de faire un sacrifice pour le bien général de l'organisation municipale. 

Bernard était tombé afaisé sur son siège. On aurait cru qu'il était sans vie tellement il était devenu pale. Lui qui avait lutté férocement pour bâtir le peu qu'il avait comme atout journalistique et dans le monde radiophonique voila qu'on lui enlevait alors que la chose en elle-même commençait tout juste à devenir intéressante. Les dieux ne pouvaient être aussi cruels, quelqu'ils soient. 

Non il devait sûrement rêver. Il quitta son patron sur ces faits et demanda à réfléchir durant vingt-quatre heures. Demain il reviendrait avec une réponse finale sur la décision qu'il prendrait. Abandonner la radio ou les sports, comme il était difficile de choisir entre eux. 

C'est comme s'il devait dire laquelle des personnes entre son frère et sa soeur il accepte d'envoyer à l'échafaud. 

À deux reprises depuis son arrivée à Sept-Îles il avait été réellement découragé et pour ainsi dire "sonné " par les circonstances. La première fois avait été au tout début de son installation là-bas. Vers la même époque que celle où il avait reçu une confirmation de son engagement chez Roco Inc. Les deux journées qui avaient précédé l'annonce de cette nouvelle, il avait littéralement craqué et se sentait perdu totalement dans cette ville nouvelle qu'était Sept-Îles et dont les portes du marché du travail refusaient de s'ouvrir. Comme par miracle cependant les choses s'étaient réglées avec son engagement comme vendeur de quincaillerie. 

La deuxième fois ou il s'était senti découragé plus que la normale ce fut lors de l'annonce de son congédiement ou remerciement de la station de radio CKCN. Il s'était senti très abattu et se demandait bien quel dieu lui en voulait ainsi pour l'éprouver de tous les côtés à la fois.On se souvient que pratiquement dans la même période il s'était vu sans emploi face à la fermeture de Roco Inc. et qu'il n'aimait pas son nouveau travail de vendeur chez U.A.P. mettant tout son espoir dans son emploi occasionnel chez CKCN à titre de lecteur de nouvelles. 

Cette fois, la troisième marquée par une épreuve dont il se souviendrait de la date, Bernard, fut encore plus bouleversé qu'auparavant. S'il avait perdu un être cher, la douleur n'aurait pas été plus grande. Sport-Santé était comme son propre enfant.Il l'avait pensé et créé de ses mains. Et son rôle de journaliste à CJMC était une suite normale de cette oeuvre première. Comment le sort pouvait-il venir lui enlever ce qu'il avait à peine connu et qu'il avait eu tant de mal à mettre à jour, amener à la vie. 

Cette soirée là dans son lit, seul avec sa peine, avant de s'endormir pour la première fois depuis qu'il était devenu un homme, i1 pleura à chaudes larmes. Si un dieu existait il lui demandait un miracle. Un miracle ou l'inspiration pour choisir. Abandonner son poste aux arénas aurait signifié le besoin d'un autre gagne-pain, car ses activités radiophoniques ne rapportaient pas suffisamment de revenus pour permettre de vivre. De plus ce rôle dans les sports lui plaisait énormément. Il le démontrait d'ailleurs ouvertement et il n'était pas rare de le voir arriver dans l'un des amphithéâtres ou encore à son bureau de travail demandant à son patron s'il n'avait besoin d'aucun service alors que normalement c'était son jour de congé. Les heures qu'il passait dans les complexes sportifs étaient comme des heures passées chez lui. Il était comme tombé amoureux des arénas. Par contre abandonner son oeuvre radiophonique lui était tout bonnement impossible. Surtout qu'il venait au cours des dernières semaines d'essayer d'agrandir le territoire de diffusion et que l'affaire était pratiquement bâclée pour au moins une autre station. 

Finalement c'est sur ces pensées qu'il décida d'attendre au lendemain matin et de tout oublier pour la nuit à venir. Cette dernière nuit avant le sacrifice presque humain porterait peut—être conseil et la fameuse solution miracle, qui peu importe l'angle par lequel on regardait les faits semblait impossible, se présenterait d'elle-même au réveil. 

C'est exactement ce qui se produisit et la nuit apporta réellement un miracle. En après midi à la sortie de son entrevue avec Denis Auray, Bernard s'était directement rendu chez son patron radiophonique et également le directeur de l'agence de publicité, Guy Marcheterre. Il lui avait expliqué ce qui arrivait et avait laissé entendre qu'il devait prendre une décision pour le lendemain. Fort probablement qu'il abandonnerait son travail radiophonique n'ayant pas les moyens ni le goût d'abandonner son travail aux arénas. Il n'avait pas manqué de souligner sa grande peine et surtout le fait qu'un grand complot politique était derrière tout ça. Si Bernard était un jeune nouveau venu d'à peine I9 ans dans le monde parfois cruel de la radio et des relations publiques, Guy Marcheterre lui ne l'était aucunement. Âgé d'une quarantaine d'années, celui-ci avait roulé sa bosse et l'entreprise qu'il dirigeait de façon très rentable démontrait bien son habilité en affaires et l'existence de ses possibilités de défense lorsqu'il était attaqué. C'était un type foncièrememnt bon et honnête, mais avec des griffes de lions prêtes à tout déchirer sur son passage si on en voulait à ses biens. Il prit donc les attaques contre Bernard comme si elles avaient été portées contre lui et entrepris dès le départ de son collaborateur journalistique de voir ce qui se cachait véritablement derrière toute l'histoire. 

Si Réal-Jean Couture semblait posséder certains appuis à l'hôtel de ville, Guy Marcheterre en possédait vraiment. La lutte engagée en était une politique alors on utiliserait la politique. Il faut savoir attaquer le feu par le feu et c'est ce qu'il fit. Marcheterre souligna à ses contacts de l'administration municipale que l'on ne pouvait accepter une pareille manipulation d'individu. Bernard Bujold était un employé de la ville mais pouvait-on pour autant l'empêcher d'occuper ses moments libres selon ses goûts à lui. Surtout que le fait de pratiquer une certaine forme de journalisme n'était aucunement incriminant. Bernard n'avait fauté d'aucune façon. Il ne faisait que de rapporter la nouvelle. On était dans un pays démocratique et personne parmi les dirigeants de la ville ou qui que ce soit d'autre ne pouvait accepter qu'un jeune qui essaie de bâtir des choses honnêtes voit son travail complètement détruit pour un conflit entre deux stations de radio qui se faisaient concurrence. 

À ses yeux les dirigeants municipaux qui avaient ordonnés que l'on demande à Bernard de cesser ses activités radiophoniques avaient agi avec la pire des lâcheté dans le dos. I1 conclue enfin que si on poussait la menace jusqu'au bout et que l'on forçait Bernard Bujold â abandonner l'une de ses activités actuelles et bien aussi vrai . qu'il s'appelait Guy Marcheterre, il promettait de tellement poursuivre les dirigeants responsables que ceux-ci en sortiraient tellement honteux que jamais plus ils ne participeraient à la vie publique. Entre lions de même taille, on s'était bien compris. 

Personne ne sait vraiment ce qui se passa par la suite comme réaction aux propos de Guy Marcheterre sauf que le lendemain matin à bonne heure,journée où Bernard devait donner sa réponse face aux ordres de ses supérieurs, celui-ci reçu un appel téléphonique de son patron qui lui dit tout simplement de ne pas tenir compte de l'entrevue de la veille. I1 venait de recevoir un contre-ordre disant de tout oublier l'affaire et d'agir conne si rien ne c'était passé. 

La chance avait donc tourné et le miracle impossible s'était produit. Il reprendrait son travail normalement et tenterait, tel que suggéré par son patron, de tout oublier de l'affaire. 

Évidemment il ne le pourra jamais et même plusieurs années après il aura encore à l'esprit ce moment malheureux, mais faisant partie de ces expériences qui forment un homme et le rendent résistant comme le roc face à la vie moderne où presque chaque homme devient un jour un loup face à son entourage, qu'il le veuille ou non. 

Néanmoins sa tache aux arénas lui plaisait et il était maintenant assuré que plus personne ne viendraient l'embêter pour ses activités personnelles car si certains avaient pour eux la force et l'expérience, lui il avait des protecteurs qui empêcheraient que des malhonnêtetés soient commises contre sa personne. 

Au cours des mois qui allaient suivre ,en plus de travailler aux arénas, Bernard donnerait une nouvelle poussée à sa série d'émissions Sport Santé. Il réussirait à agrandir le territoire de diffusion et ainsi petit à petit à devenir un journaliste de plus en plus véritable. On se souviendra que quelques mois avant sa mésaventure avec le directeur des nouvelles de CKCN il avait fait parvenir à différentes stations des offres pour que celles-ci acceptent de diffuser son émission moyennant une certaine rémunération. Aucun résultat n'avait été ressenti depuis, mais ceux-ci se produiraient bientôt. Ce serait cependant de façon bien indirecte et non prévue. Ces résultats se produiront d'ailleurs a peu près en même temps que ses démêlés avec les dirigeants municipaux et l'histoire de CKCN. 

L'une des stations à qui il avait soumis son idée d'émission était celle de New Carlisle, CHNC. Il provient de cet endroit, Saint-Siméon n'étant situé que quelques milles à l'ouest, et il connait très bien la région et ses possibilités. Alors qu'il était en voyage dans sa famille à l'occasion des fêtes de Noël I975, il entreprit, bien peu confiant toutefois, d'aller voir directement à la station CHNC ce qui en était de son offre faite quelques mois auparavant. 

Un bon midi il souligna à son père qu'il avait l'intention de se rendre à New,-Carlisle, question de voir les amis, mais aussi de traiter une affaire qu'il avait en tête. Personne dans sa famille n'en avait demandé plus, car on commençait à comprendre depuis les derniers mois que l'aîné de la famille, autrefois un simple adolescent, était maintenant devenu une sorte d'homme d'affaires sinon prospère du moins sur la voie de l'être. 

En effet depuis ses premiers succès à la radio de Sept-Îles, son premier engagement du début, puis son implication dans l'administration des arénas et enfin son travail de professeur de conditionnement physique, tout cela avait comme créé une forme de respect face à lui cet on ne criait plus à l'impossible devant l'une ou l'autre de ses idées personnelles sachant bien qu'il était capable de ramener à terme. 

S'il avait pu réussir, sans instruction scolaire aucune, à occuper des postes ordinairement réservés à des diplômés des grandes écoles, donc réaliser une chose quasi impossible, on ne pouvait plus dire : "Bernard n'en sera pas capable". 

Toute idée venant de lui avait maintenant toutes les chances de succès peu importe le genre ou la forme de l'idée comme telle. 
Ce qui en vérité était bien un peu exagéré et démontrait, encore une fois, que les parents sont toujours aveugles devant les possibilités réelles de leurs enfants. 

Notre vendeur d'émissions sportives n'y alla pas par deux chemins face au directeur de CHNC. Il se présenta directement et commença son plaidoyer devant le directeur général de l'époque un dénommé Arthurt Houde. Il lui dit qu'il était venu pour parler affaire. " Monsieur Houde je me présente, Bernard Bujold. "Je suis professeur de culture physique, responsable aux arénas de Sept-Îles et enfin je produis la série d'émissions Sport Santé. Vous connaissez d'ailleurs peut-être déjà, car je vous ai envoyé récemment des enregistrements de cette série. Si je suis ici c'est pour vous proposer d'acheter des émissions de cette série. "  

Le directeur de la station écouta sans mot dire le discours qui dura bien une quinzaine de minutes. L'exposé avait été présenté dans le plus pur style du vendeur et notre jeune ami y avait mis toute sa fougue et son coeur afin de convaincre le bon vieux monsieur Houde, qui était au départ reconnu de plusieurs pour ne pas faire de cadeaux à personne et comme quelqu'un de très dur, d'acheter quelques chroniques Sport-Santé et permettre ainsi que le territoire de diffusion soit agrandi. 

Ce fils du fondateur de la radio gaspésienne; c'est en effet le père d'Arthur Houde qui fut le premier à implanter les ondes radio en gaspésie. Charles-Eugène Houde fonda CHNC en I933 tandis qu'il fonda plus tard le 17 octobre 1959 la télévision de la gaspésie CHAU-TV qui est encore aujourd'hui la seule à desservir le vaste territoire de la Baie-des-Chaleurs, mais qui appartient maintenant à Claude Pratte et associés un peu le Randolph Hearst du Québec.

Arthur Houde avait peut-être une idée derrière la tête, mais toujours est-il qu'il ne démontra pas de catégorique refus aux propositions de Bernard. 

" C'est bien comme idée. Tu m'as dit que tu étais originaire de Saint-Siméon, hein? Écoute. Je vais en essayer quelques-unes. Disons que le contrat est illimité sauf que j'ai la possibilité d'y mettre fin lorsque je le jugerai bon. Si ton émission est bonne alors tant mieux sinon et bien on cessera de collaborer. D'accord ?"

Bernard laissa silencieusement passer un soupir de soulagement comme l'aurait fait quelqu'un qui vient de lutter farouchement pour sauver une chose qui lui est chère et qui s'aperçoit qu'il a réussi dans sa mission. 

I1 était â la fois heureux et surpris. Ça y était enfin, le territoire de diffusion de son émission Sport Santé s'agrandissait et s'étendait maintenant sur tout l'Est-du-Québec autant la partie nord près de Sainte-Anne des Monts que celle de la Baie-des-Chaleurs avec en plus le nord du Nouveau-Brunswick. Il y avait enfin la région Côte-Nord près de Sept-Îles, car il ne faut pas oublier que CJMC entre très bien dans les environs de Sept-Îles. Ceci est en grande partie dû aux dispositions géographiques. Aussi étrange que cela puisse paraître la radio de Sainte-Anne des Monts qui est très mal reçue à Matane malgré que la distance entre les deux villes soit d'à peine plus de cinquante milles, se reçoit parfaitement à Sept-Îles qui est situé beaucoup plus loin. Ceci est causé par la présence du fleuve Saint-Laurent qui, puisqu'il n'y a pas de dénivellations, de montagnes ou autre, permet aux ondes de facilement voyager. 

Bernard Bujold était sur la voie du succès du moins on le croyait dans son entourage immédiat et lui le pensait bien aussi un peu. Toutefois lui-même voyait en cette autre addition, celle de CHNC, une autre raison de se réjouir.

À ses yeux c'était la plus importante de toutes. S'il avait eu la possibilité de tenir les ondes pendant quelques mois à la radio de Sept-Îles et un peu plus tard de les reprendre à Sainte-Anne des Monts, seul son père à l'occasion d'un court voyage amical sur la Côte-Nord avait pu entendre concrètement le résultat de succès radiophonique. 

Tous les amis de son village, les employés de la coopérative de Saint-Siméon, ses anciens confrères de classe et enfin toute sa famille, personne dans ces gens n'avait eu l'occasion de constater sa réussite et d'admirer ses performances en ondes. Maintenant avec CHNC la chose allait être possible et notre enfant de la Gaspésie ne voulait pas manquer cette première et il ferait tout pour briller à cette occasion de tous ses feux.  

Ce raisonnement est un peu normal et c'est comme pour tout jeune qui réussit; ce dernier est toujours fier de revenir dans son patelin et de pouvoir intérieurement se dire qu'il leur à fait honneur à tous, généralement aussi, et comme ce fut le cas pour Bernard, les gens de la région sont fiers des réussites de leurs membres et ne manquent pas de le souligner lorsque l'occasion s'en présente. En plus son émission Sport Santé serait diffusée chaque matin après la chronique religieuse de l'Abbé Boisseault qui pour tous les gaspésiens est une voix vieille de plusieurs années et qui fait partie pour ainsi dire des " meubles de la Gaspésie ". C'était encore là tout un honneur pour notre jeune journaliste en herbe. 

Sport-Santé était donc diffusé â la radio de Sainte-Anne des Monts et à celle de New Carlisle, un territoire imposant était maintenant couvert. Néanmoins l'animateur de cette série ne pouvait cesser de travailler ailleurs et s'occuper uniquement de la réalisation des chroniques. Les quelques dollars que rapportait ce travail étaient tout juste suffisants pour payer les frais de loisirs durant les fins de semaine, mais de toutes façons pourquoi aurait-il cessé de travailler aux arénas puisqu'il adorait cela. C'était pour ainsi dire une vie complète qu'il connaissait chaque jour dans l'accomplissement de ses responsabilités et rien ne pouvait l'inciter à vouloir quitter ce lieux de travail, les arénas de Sept-Îles. 

Quelques mois plus tard malgré que cela n'augmentera pas tellement ses gains du monde artistiques, il songera à vendre sa chronique à la télévision de Carleton et le directeur général d'alors, Yvon Chouinard acceptera l'idée. Il la modifiera toutefois  de la conception qu'elle avait pour la diffusion radiophonique.

Cette fois pour la télévision, les chroniques devraient durer cinq ou six minutes et ne seraient diffusées qu'à raison d'une journée par semaine au lieu de quotidiennement comme à la radio. Le directeur de CHAU TV demanda donc à Bernard de préparer des textes pour quelques trente-neuf émissions différentes et invita celui-ci à venir les enregistrer durant l'été afin que l'on soit en mesure d'en commencer la diffusion dès septembre prochain à l'occasion du début de la nouvelle programmation d'automne. 

On était alors aux environs de mai 1976, 1e début d'un nouvel été. 

Il se mit immédiatement à la tâche et rédigea les trente-neuf exposés sur autant de sujets différents. Parlant tantôt des avantages de la course à pied, tantôt des dangers et techniques de la boxe il arrivait soudain expliquer en quoi consistait une défaillance cardiaque. 

La formule ressemblait beaucoup à celle des émissions de vulgarisation présentées par certains réseaux notamment celles animées par Fernand Séguin. Les explications et détails donnés par Bernard étaient loin d'être faux. Celui-ci se servait des mêmes méthodes que lorsqu'il avait dû se transformer en professeur d'haltérophilie et il se documentait partout où les possibilités s'en présentaient. Livres scientifiques, émissions de radio ou de télévision qu'il entendait ou voyait, rencontres avec des experts du domaine traité, rien ne pouvait l'arrêter dans sa recherche de thèmes ou d'idées pour son émission publique. À CHAU-TV ce sera en quelque sorte la consécration de l'oeuvre Sport-Santé.

Malheureusement ce sera aussi le tournant de toute sa vie. 

En effet, pour la télévision de la Gaspésie la diffusion des chroniques Sport Santé ne viendra que pour les années 1976 et après la saison estivale.

Entretemps leur auteur serait soumis à de dures épreuves dont il ne soupçonnait aucunement l'arrivée.

Si les événements des dernières années, l'affrontement Couture—Bujold, son implication sur le marché des ventes, le domaine sportif et les différentes occupations qu'il y a tenues, ont tous été très formateurs pour son caractère, l'été de 1976 sera pour Bernard le théâtre de l'apothéose de cette formation difficile et cruelle à subir. 

Alors qu'il mènera de front sa carrière aux arénas et dans le monde de l'information, il verra fondre cet empire juste au moment où celui-ci commençait à démontrer des signes de force. Cependant cette fois, notre fils de l'Acadie aurait l'habitude des malheurs et il pourra mieux affronter le destin et tenter de repartir de presque rien pour remettre en état ce qui avait été sien dans un passé récent.





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CHAPITRE SIX 
Décès du père de Bernard Bujold


Vers mai 1976, tout semblait aller pour le mieux et Bernard était assez près de ce que l'on appelle le " bonheur ". 

La vie à Sert-Iles était agréable, il y possédait plusieurs amis autant sur le plan personnel que du travail. Il occupait un travail dont il était fier et il pouvait se permettre de donner suite à son imagination dans la réalisation de ses chroniques et reportages journalistiques. Il n'avait d'ailleurs aucune intention de changer quoi que ce soit dans son rythme de vie si ce n'est d'encore améliorer ce qui était déjà. 

Agrandir le territoire de diffusion de Sport Santé. Trouver d'autres responsabilités occasionnelles dans le milieu journalistique; il ne voulait cependant rien qui soit sur une base permanente, car il ne considérait pas le journalisme comme un domaine suffisamment valorisant pour un adulte; et enfin il espérait bien pouvoir dans un avenir assez rapproché, gravir quelques autres marches dans la hiérarchie de l'administration municipale et qui sait: peut-être un jour être le grand chef des arénas de Sept-Îles. Arénas dont un s'appelait Le Palais des sports et l'autre Aréna de Participation, nom da semble-t-il au fait qu'on avait érigé cet édifice grâce à des cotisations spéciales qui avaient été recueillies parmi la population de l'endroit. 

Les premiers indices de la décadence de l'empire Bernard Bujold, ou autrement dit, l'époque où divers problèmes dans sa vie personnelle modifieront l'orientation générale de sa carrière se manifestèrent par une soirée de mai 1976. 

Celui-ci était occupé à l'inscription de jeunes désireux de faire partie des équipes de baseball amateur oui seraient organisées pour la prochaine saison d'activité du Service municipal des Loisirs. Comme sa collègue Jocelyne Deschênes arrivait pour le remplacer, elle lui souligna que le patron,Denis Auray, voulait le voir à son bureau immédiatement. À la fois enjoué et inquiet, Bernard. se demandait bien pourquoi son patron voulait le voir dans 1'immédiat? Si on en croyait Jocelyne, cela était urgent. 

" Oh! peut-être bien une augmentation de salaire" lança-t-il à haute voix pour un peu égayer l'ambiance. Puis sans attendre il se dirigea vers l'autre amphithéâtre, Le Palais des Sports, où étaient situés les bureaux de l'administration. 

Denis Auray l'accueillit chaleureusement comme c'était son habitude, mais avec cette fois quelque chose de plus profond dans la voix comme il l'avait déjà fait â quelques reprises lorsque les événements étaient vraiment graves. Pour l'affaire avec Couture par exemple. Vraiment se dit intérieurement Bernard : " Il doit y avoir quelque chose que j'ai fait qui n’est pas correcte. " 

" Assis-toi ,vieux écoutes, reste calme. Je viens de recevoir un appel de ta tante en gaspésie. Elle demande que tu la rappelles. Il semble que ton père est â l'hôpital. Mais ne t'en fais pas, prend ça calmement." 

Bernard qui a toujours été très optimiste de nature essaya de réconforter son patron et ami Auray qui semblait horriblement déçu de voir le père de son employé à l'hôpital. 

" AH!  Bien ce n’est pas grave. Il m'avait prévenu la semaine dernière lors de notre appel téléphonique hebdomadaire. Il a comme des douleurs à l'estomac. Mais ce n’est pas grave ce doit être la température ou l'eau. Avec quelques pilules tout va disparaître. " 

Puis sur ces quelques paroles, il se dirigea à son bureau personnel pour quand même téléphoner chez lui en gaspésie, question d'un peu confirmer la version des faits qu'il venait d'interpréter. Assez curieusement, sa mère qui répondit à l'autre bout du fil ne lui dit que brièvement bonjour et sans autre information alors que Bernard lui demandait des nouvelles de son père, elle s'empressa de lui passer la fameuse tante qui avait supposément contacté son patron quelques minutes auparavant. 

Celle-ci posa les quelques questions d'usage à son neveu, comment il allait, etc. Cela faisait bien plus d'un an qu'elle ne lui avait pas parlé, l'occasion ne s'étant pas présentée, mais elle s'attarda moins longtemps que la normale sur ces banalités. 

" Écoute Bernard! Ne t'énerve pas, mais ton père est entré à l'hôpital. Mais tu as le temps de descendre en gaspésie pour le voir." 

" Comment descendre en gaspésie!" se dit Bernard 

Il venait tout juste de souligner à son patron que ce n'était pas si grave que ça si son pire était hospitalisé. C'était dû à quelques problèmes de digestion sans plus. Il entreprit donc à nouveau d'expliquer ce fait à sa tante visiblement très inquiète. 

" Écoutez Ma tante, ce n’est pas grave. Il a eu quelques problèmes de digestion, mais c'est normal. C'est la température ou l'eau qui ....."

Sa tante l'interrompit pour lui dire qu'au contraire c'était très grave. Les docteurs étaient tous catégoriques, Léonard Bujold serait mort d'ici quelques semaines. Il était atteint d'un cancer généralisé dans les intestins. On l'avait opéré, mais immédiatement en voyant l'état avancé de la maladie on avait refermé l'ouverture, car rien n'était faisable comme traitement. Y toucher n'eut fait que d'aggraver le cas et d'en accélérer la progression. Selon eux, cet homme pouvait encore vivre quelques mois comme quelques semaines seulement. C'était une question de progression et d'attitude du malade en lui-même. 

A l'annonce de l'ensemble de cette nouvelle par sa tante,Bernard avait encore obstinément tenté de la convaincre du non-fondement de ses inquiétudes sur le cas de son père. 

Mais alors que celle-ci lui réaffirma que réellement son père vivait ses dernières heures et qu'elle cessa momentanément de parler, Bernard lâcha une dernière phrase avant de raccrocher l'appareil : 
" C'est bon, j'arrive cette nuit ." 

Il n'avait même pas attendu que cette tante, Lucie Bujold lui conseille d'être prudent et de ne pas conduire trop rapidement que déjà il avait quitté à ligne.  

Cette tante Lucie est la soeur directe de Lorette Cavanagh la mère de Geneviève Bujold. Les deux soeurs ont épousé chacune un Bujold, Firmin et Raymond pour Lucie, mais ces deux Bujold n'ont aucun lien de parenté malgré le même nom de famille. La liaison existe du côté des Cavanagh. Notons qu'une autre des soeurs Cavanagh, Thérèse avait elle aussi épousé un Bujold. Il s'agit de Léopold Bujold qui est le frère de Raymond le mari de Lucie . Ce qui fait que Lorette, Lucie et Thérèse, les trois soeurs étaient mariées à des Bujold de famille. Notons également que le véritable prénom de Geneviève Bujold est Nicole.  

Bernard était comme gelé et pas un geste ne sortait de son corps, puis soudainement pâle et des mouvements saccadés il se dirigea vers le bureau de son patron et lui dit en quelques mots prononcés avec des sanglots au fond de la gorge: 
" Je pars immédiatement pour la gaspésie. Mon pire est mort."

Alors qu'il n'avait qu'entrouvert la porte du bureau et qu'il s'apprêtait à partir, Denis Auray se leva et d'un geste doux, mais ferme, il le retenu par le bras : 

" Attend un peu. Reste calme.Je sais ce que c'est. Moi aussi j'ai déjà perdu mon père. Attend je vais t'aider. " 

A cela Bernard avait répondu qu'il n'avait besoin de rien sinon que quelqu'un fasse les démarches nécessaires pour qu'il soit considéré durant son absence comme malade. Denis Auray insista cependant et après l'avoir assuré que son emploi ne serait aucunement mis en danger durant son absence, il continua à argumenter sur l'importance de prendre les événements calmement. Il savait que son employé avait la manie de conduire très rapidement et que bien souvent celui-ci osait un peu trop sur l'audace. Le laisser partir sans l'avoir quelque peu calmé aurait pu être dangereux et le risque d'un accident d'automobile, peut-être mortel, eut été très grand. 

Il se souvenait particulièrement du Noël précédent où Bernard avait quitté le party du bureau aux petites heures du matin et après avoir été reconduire une jeune fille rencontrée à la soirée, il était immédiatement parti pour Baie-Comeau malgré la mauvaise température et son état physique touché par la fatigue et l'alcool. 

A l'époque Denis avait bien tenté de le retenir et de l'empêcher de partir en étant à la fois doux puis violent nais il n'y avait rien eu à faire. Bernard était finalement parti durant la nuit afin de pouvoir attraper le traversier du matin qui faisait la navette entre Baie-Copeau et Matane. Tout s'était bien passé, mais il s'en était fallu de peu. A quelques milles seulement de Sept-Îles après son départ, sa voiture avait fait une embardée et s'était retrouvée dans le fossé et incapable de bouger. Heureusement un camion qui passait par là sortit la voiture de Bernard qui suite à ce premier présage ralentit quelque peu l'allure et put se rendre sans autres incidents au port d'embarcadère de Baie-Comeau. 

Cependant cette fois, même si la température était plus clémente, Denis craignait réellement pour son employé, car si précédemment aucun sentiment n'animait ce dernier, aujourd'hui c'était tout le contraire. Et un accident de voiture qui eut blessé gravement Bernard aurait encore aggravé la situation présente où le père vivait ses dernières heures. 

Finalement il réussit à le calmer et lui proposa même de l'argent pour qu'il puisse partir dès le lendemain matin seulement, mais très tôt avant l'ouverture des banques. 

Un peu calmé et après avoir discuté quelques instants avec Denis, Bernard en vint a décider de quand même partir le soir, mais il promit à son directeur d'être très prudent et de ne pas s'en faire outre mesure. Après tout si son père devait mourir il ne pouvait rien y changer. 

Pour Bernard, son père c'était tout. C'était Dieu, c'était la vie, c'était pratiquement lui-même et il ne pensait et ne vivait que pour et par son père. Tout ce qu'il faisait, il le faisait un peu pour lui faire honneur et rien ne pouvait plus lui faire chaud au coeur que de voir son père fier de lui. L'idée qu'un jour celui-ci viendrait à partir ne l'avait jamais effleuré et à chaque fois qu'on voulait ou pouvait par les discussions l'amener à penser à cette éventualité, ce n'était pas long qu'il se chargeait de convaincre ces individus du contraire.

Pour lui son père était immortel.

Même dans ce cas-ci, alors que finalement il avait accepté de descendre d'urgence en gaspésie pour voir son père à l'hôpital, il ne croyait pas encore pleinement que le moment tragique était arrivé. Il était persuadé que son père guérirait et qu'il réussirait encore une fois à passer par dessus l'épreuve. 

Il avait sûrement un quelconque complexe de s'identifier et de croire ainsi en son père. Les psychologues le catalogueraient très facilement, mais l'intéressé lui-même se sentait heureux et fort en pensant à son père. Qu'est ce qu'aurait pu changer le fait de connaître son complexe et de le détruire ? Très certainement rien de mieux et on peut même avancer que c'est cette croyance aveugle en cette force magique qu'il croyait obtenir de son père, même à distance, qui lui permettait de parfois oser sans bon sens. Oser dans la réalisation d'une idée qui semblait en tous points irréalisable et qui connaissait à la fin un succès réel. 

Le voyage jusqu'en gaspésie se fit sans embûche si ce n'est que pour une autre fois dans sa vie,Bernard était vraiment découragé et sans énergie. 

Cette fois c'était cependant différent des périodes de découragements précédentes et le mal semblait être encore plus profond et intérieur. Un peu comme si quelqu'un parmi les esprits l'avait éclairé pour lui faire pressentir que réellement la situation était grave et que rien ne viendrait arranger les choses comme précédemment. Toutefois lui personnellement il était toujours persuadé que le fameux miracle de dernière minute viendrait solutionner le problème et que son père réussirait à revivre normalement et à encore appuyer son fils aîné dans ses multiples projets.

S'il était parti de Sept-Îles sous le coup d'une certaine impulsion, il n'en avait pas moins conservé certains de ses esprits et avait pris soin d'apporter avec lui dans ses bagages: sa dactylo et son magnétophone. Au cas où il devrait rester pendant plusieurs jours, il pourrait tout au moins produire une autre série d'émissions Sport-Santé et l'enregistrer au domicile de ses parents. Il avait voulu prendre cette précaution, car les bobines du mois précédent seraient bientôt complètement diffusées et aucune émission n'était préparée pour le mois à venir. 

Malgré les malheurs, il voulait conserver son petit empire personnel en état. Denis Auray lui avait assuré qu'il n'y avait aucun danger pour son emploi aux arénas et qu'il pourrait encore l'occuper à son retour . Il pouvait demeurer chez-lui durant quelques semaines cela ne faisait rien. 

Sur ce plan Bernard avait toutefois catégoriquement affirmé à son patron qu'il ne serait pas parti plus d'une semaine. Il avait l'intention de passer directement par l'hôpital pour rendre visite à son père et ceci avant même de se rendre au domicile familial de Saint-Siméon. L'hôpital en question était situé à Maria et c'était d'ailleurs le seul centre de soins pour malades chroniques situé dans la région de Bonaventure. Toutefois un peu motivé par un sentiment intérieur, il se décida, une fois rendu à Matane, de téléphoner chez sa mère question de savoir si durant la nuit le malheur impossible ne s'était pas produit. Sa tante avait eu l'air tellement catégorique sur la gravité de l'état de son père qu'il était bien possible à la fin que celui-ci n'ait pas réussi à passer la nuit. 

Sa mère le rassura, mais lui demanda à quel endroit il était rendu dans son voyage ? Alors qu'il répondait à cette question, il ajouta qu'il avait l'intention de se rendre directement rendre visite à son père à l'hôpital.

Cette précision était importante, car il ne fallait surtout pas que Bernard brise le plan. On n'avait pas prévenu Léonard de la gravité de son cas et on ne devait pas le faire. Ce dernier était persuadé qu'il guérirait rapidement et même les docteurs avaient jugé cette simulation préférable sinon nécessaire. Le caractère impulsif et nerveux de Léonard en faisait un de ceux qui ne supportent pas le fait de savoir qu'ils vont mourir et d'en être conscients peut parfois aller jusqu'à aggraver leur cas et accélérer le rythme de progression de la maladie. Du moins c'était l'avis des médecins responsables. 

Bernard accepta de jouer le jeu et d'attendre en soirée avant d'aller voir son père alors que l'on s'y rendrait en famille. 

Il devrait comme convenu raconter une supposée histoire sur les raisons l'ayant amené à se rendre en gaspésie; des vacances qui lui étaient disponibles et il en avait profité pour les prendre alors que son père était a l'hôpital. Rien de plus normal. 

Et en même temps qu'il se reposerait, il avait l'intention de mettre quelques efforts sur la planification de sa série Sport-Santé qui devait dès l'automne prochain être diffusée à la télévision de la Baie-des-Chaleurs. À cette dernière nouvelle, Léonard sembla très réjoui. 

Son père était vraiment mal en point. Lui qui était normalement un homme d'une bonne constitution, bien que mince il pesait environ 150 livres en temps normal, voilà qu'il était à un tel degré rongé par la maladie qu'il ne pesait plus que 70 livres environ. En moins de deux semaines, Léonard avait dépéri à ce point et c'est principalement ce signe qui avait convaincu ses proches que ses jours étaient définitivement comptés. 

Bernard lui-même était stupéfait et bien qu'il croyait encore au miracle, il se sentait comme impuissant devant pareille circonstance. L'homme qui avait été son père et celui qui était là couché dans le lit d'hôpital n'était physiquement pas le même. 

Dans la discussion cependant il reconnaissait son vrai père et c'est avec toutes les peines du monde pour conserver un air serein, qu'il réussissait à tenir une conversation avec Léonard pour immédiatement après se rendre dans le corridor pour éclater en sanglots et rager contre le personnel du centre hospitalier et les médecins de l'endroit qu'il jugeait de purs incompétents et de complets imbéciles. 

S'il avait pu, il les aurait tous écrasés. 

Il rencontra finalement, en entretien privé, le docteur responsable directement de son père. Ce médecin un certain Dr Gagnon ne put que répéter ce qu'il avait dit précédemment au reste de la famille: "Léonard Bujold n'avait plus que quelques semaines à vivre. La forme de cancer dont il était atteint était mortelle et dans son cas précis, le degré était plus que fortement avancé."  

Léonard ne vivra d'ailleurs pas plus longtemps que prévu. 

Bernard avait reçu l'appel de sa famille lui demandant de se rendre immédiatement en gaspésie le 9 mai 1976 et le 5 juin, moins d'un mois plus tard, son père terminait son agonie sur son lit d'hôpital. 

Après avoir vaguement repris conscience cette journée-là, il n'avait pu émettre que quelques signes de la tête et de légers grognements lorsque son fils Bernard lui avait serré la main dans un ultime effort pour forcer son père à s'accrocher à la vie. La veille encore, Bernard lui avait parlé de Sport-Santé et de ses projets d'avenir : 

" Tu vas t'en sortir. Tu es fort et tu es déjà passé à travers pire que cela . On va encore aller visiter Sept-Îles ensemble et je vais te montrer mes coins favoris."

Son père lui avait répondu que oui et il avait esquissé un léger sourire en guise d'appui à sa réponse. 

Ce devait être son dernier sourire sur cette terre, car le lendemain il serait mort en ayant pour la première fois depuis que Bernard le connaissait, oublié de tenir une promesse qu'il avait faite. Il ne s'était pas accroché à la vie et avait préféré partir pour ce voyage dans l'au-delà. comme si finalement il s'y sentait mieux et comme s'il n'avait plus la force ni le goût de lutter pour conserver ce privilège de vivre physiquement, privilège qui n'en est en réalité pas un. I1 avait peut-être compris cette vérité et il s'effaça de la terre. 

Il était né le 5 novembre de l'année 1915 et il effectuait le grand départ le 5 du mois de juin 1976. Il avait vécu pendant 61 ans . 

Il est toujours très pénible pour quelqu'un de perdre ou soit sa mère ou son père. Personne ne devient jamais complètement adulte et la présence des parents nous réconforte et nous fait croire qu'ils peuvent encore nous protéger devant les obstacles et les aventures de la vie. Bien souvent il n'en est rien sinon dans notre esprit. Mais comme l'esprit dirige en bonne partie notre corps, alors cette présence des parents est réellement importante. 

Pour Bernard, comme  dit précédemment, cette présence du père était doublement importante dans son esprit et nécessairement la mort de celui-ci fut l'occasion d'un choc émotif tris intense. 

Un choc que finalement il a sûrement mieux encaissé que s'il l'eut connu quelques années auparavant alors qu'il n'avait pas encore expérimenté la vie loin de la maison familiale. Il avait commencé â se défendre seul devant les exigences quotidiennes et connaissait un peu la grandeur de ses possibilités personnelles. Cependant les conséquences néfastes de la mort de son pire ne seront pas pour autant absentes. 

En moins de deux mois il aura quitté son emploi aux arénas de Sept-Îles, pour postuler sur un autre travail peut-être, mais si son pire avait continué de vivre jamais il n'aurait abandonné Sept-Îles, car Léonard l'en aurait fortement déconseillé. Il se retrouvera complètement au bas de l'échelle avec plus rien de son oeuvre sauf Sport-Santé qui avait été miraculeusement sauvée du naufrage. 

Vu de loin avec le recul des années le résultat final de ce malheureux jour fut cependant comme un grandissement au niveau de la personnalité de Bernard, pour qui les épreuves sont devenues comme un fertilisant. Plus il est frappé par le malheur, plus il apprend à s'en défendre et il semble se fortifier de ces attaques du destin.

Après la mort de son père, il deviendra un peu ce qu'il n'avait jamais encore été vraiment et ceci malgré ces quelques réalisations personnelles, c'est-à-dire un homme véritable, un homme indépendant et capable de vivre seul sans l'aide de ses parents. 

Entre juin et août 1976, date du retour de Bernard dans sa gaspésie natale, plusieurs événements se produiront et s'enchaîneront à un rythme très rapide. 

Dans l'ensemble on peut dire qu'il se posait des questions sur son orientation personnelle et sur son avenir réel dans la vie. Pensant durant un certain temps axer la totalité de ses efforts dans le sport, notamment dans l'animation en loisir, il décidera ensuite de ne faire que du journalisme. Il donnera alors sa démission à la direction de la ville et deviendra journaliste à plein temps pour un petit journal de 1'endroit, Le Nordic. Un journal hebdomadaire où il s'était vu confier le service des sports et de la publicité.

Toutefois une semaine seulement après son entrée en fonction il regrettait son geste et il revenait voir son ancien directeur,Denis Auray à qui il demanda de l'aide pour le réintégrer dans le milieu sportif. Ce qu'il visait ce n'était pas tant Sept-Îles, mais Sainte-Anne-des-Monts où un poste de directeur d'arénas était vacant. 

Demandant conseil à son ancien superviseur, il lui souligna l'énorme confiance qu'il plaçait en lui et que s'il l'avait quitté tout récemment c'était en grande partie dû à la mort de son père qui l'avait totalement transformé.  Depuis, il ne sentait plus le même et il se demandait bien quand il allait redevenir lui-même. 

S'il pouvait obtenir l'administration de l'aréna de Sainte-Anne des Monts, ce serait un pas de l'avant et cela lui permettrait de réellement reprendre confiance en lui. C'est du moins ce qu'il expliqua à Denis Auray. 

Son ancien superviseur aux arénas le sermonna durant une bonne heure. . Selon lui c'était inadmissible d'avoir agi comme il l'avait fait depuis les dernières semaines. 
D'accord son père était mort, mais il arrive un moment où un homme doit montrer qu'il en est réellement un. Et seuls les vrais réussissent à vivre en ce monde ou du moins eux seuls méritent des emplois comportant certaines responsabilités. 

Malgré sa grande colère; peut-être un peu peiné d'avoir vu Bernard détruire rapidement ce qui avait mis un temps énorme pour être construit et avait nécessité une somme incalculable d'efforts, il accepta d'appuyer son ancien employé et il lui affirma qu'il ferait tout ce qu'il pourrait pour l'aider â obtenir l'emploi de directeur d'aréna pour la ville de Sainte-Anne des Monts. Il irait même jusqu'à contacter les autorités de cette ville pour leur conseiller d'embaucher le candidat provenant des arénas de Sept-Îles. 

Ils se mirent donc ensemble à travailler un dossier de candidature et à planifier le processus d'approche. Après quelques jours de travail sur ce dossier et après en avoir poli les éléments, Bernard décida de plier bagage et de se rapprocher tranquillement de son nouvel endroit de travail. Il voulait aussi se rendre directement sur place pour rencontrer la direction de 1a ville de Sainte-Anne des Monts et essayer de se mettre quelques bons appuis de son côté avant l'élimination finale. 

Les modalités de déménagement commencèrent donc. Il fit le tour de ses amis et connaissances et distribuait ses adieux en promettant bien de revenir les voir prochainement. 

Passablement confiant en ses chances d'être embauché comme directeur â Sainte-Anne des Monts, il en souffla la rumeur à plusieurs. Il quittait Sept-Îles pour mieux. Il allait maintenant être le grand directeur d'un aréna. C'était ça la vie et il fallait gravir l'échelle vers le haut. 

Il s'embarqua finalement pour le retour au bercail à la fin du mois d'août 1976. 

Lui qui avait mis les pieds sur ce sol supposé être une terre de richesse et avec l'espoir d'en attraper une partie, il la quittait en emportant quelques-uns de ces trésors dans son navire .

Les premières expériences sur ce milieu avaient été réalisées en I974 alors qu'il n'était âgé que de 18 ans. Voilà qu'il partait aujourd'hui riche de tout un bagage d'expérience et d'aventures qui l'avait façonné solide et capable de résister aux intempéries de la vie. Jusqu'a quel degré il n'en savait rien, mais l'avenir le lui dirait bien assez vite. Il avait maintenant 2o ans. En tout il avait passé deux ans à apprendre la vie et à la laisser suivre son cours seul sans oeillères. 

Dorénavant il se disait bien qu'il serait plus fort pour poursuivre le long chemin de son existence et qu'il ne pouvait qu'avoir tiré un enseignement de l'initiation directe des vingt-cinq derniers mois. Évidemment on ne quitte pas un pays que l'on a habité pendant une aussi longue période sans rêvasser un peu et méditer sur les moments qu'on y a connus. Et alors qu'il s'embarquait pour le retour, il avait revu en pensée les principaux événements de cet exil et ne pouvait s'empêcher d'être nostalgique. Parmi les plus beaux souvenirs qu'il conservait, c'était celui des arénas qui lui était le plus cher. Il avait pleinement aimé son travail et pour la première fois, il avait su ce que c'était que de vivre le travail que l'on a à accomplir. Il avait fait_corps avec les arénas. 

Puis parmi les plus mauvais moments; tiens soudainement il ne s'en rappelait aucun. Pourquoi conserver un souvenir qui nous rend triste? C'est un gaspillage. C'est ce qu'il s'était dit intérieurement. Il quittait la Côte-Nord heureux de son alliance avec elle et il en conserverait dans son esprit de merveilleux souvenirs. 

Le trésor des Incas québécois existait vraiment. Il avait pu le toucher et en admirer la splendeur!







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CHAPITRE SEPT
Début à la télévision de la Gaspésie


C'est le 20 août 1976 que Bernard Bujold revint au domaine familial de Saint-Siméon. 

Il y retrouva pratiquement le même décor qu'à l'époque de son départ, quelques années auparavant. On était à la fin de l'été et la température bien que fraîche était encore très agréable. Tout semblait être resté comme avant sans même avoir vieilli. 
Les arbres de la propriété, les murs des bâtiments, les autres maisons du village enfin tout. 

Un seul changement, mais majeur, l'absence de son père, le maître des lieux. 

Le poste de directeur d'aréna pour la ville de Sainte-Anne des Monts était censé être officiellement accordé dans les premières semaines de septembre. Bernard fit plusieurs voyages directement là bas; il n'y a que deux heures de route entre Saint-Siméon et Sainte-Anne des Monts; et il multiplia les communications téléphoniques afin d'avoir certains appuis lors de la sélection officielle et finale du candidat retenu. Plusieurs autorités de l'administration de la ville lui avaient ouvertement assuré qu'on dirait un bon mot en sa faveur et qu'il serait très certainement choisi. Il possédait une bonne expérience de son travail à Sept-Îles et son implication dans le monde du sport et de la radio lui serait d'une très bonne utilité.
Aussi on n’avait aucunement hésité à se ranger de son côté. 

Finalement vers le I6 septembre, alors qu'encore aucune confirmation officielle n'avait été acheminée et que Bernard commençait à être fatigué d'attendre même si on lui avait clairement affirmé la semaine précédente que son nom n'était pas écarté, mais que c'était la décision en elle même qui avait été retardée de quelques jours, il décida de retourner voir directement sur place à Sainte-Anne des Monts et constater réellement où en était les choses. 

Néanmoins avant de partir il fit un appel téléphonique à l'un de ceux avec qui il s'était lié d'amitié au plan professionnel quelques semaines plus tôt, une personne faisant partie de l'administration municipale ( nous tairons ici le non exact ).

"Écoutez Monsieur, qu'est-ce qui se passe avec notre affaire ? La première semaine de septembre est passée et je n'ai encore rien reçu comme confirmation de mon engagement et ceci malgré vos assurances sur mon engagement. Je sais bien que la décision finale n'a pas été prise comme prévu la semaine dernière, mais pourriez-vous me dire ce qu'il en est réellement ? " 

L'individu à l'autre bout du fil paru mal à l'aise. Il semblait avoir une mauvaise nouvelle à annoncer et ne pas savoir comment commencer son récit. 

" Bien voici. La réunion du conseil municipal a eu lieu hier, lundi. Tu sais Bernard comment c'est parfois dans l'administration d'une ville. La politique existe un peu . Figure-toi que vous étiez deux individus d'à peu près égale compétence. Un type de Rivière-du-Loup et toi. À la dernière minute le maire et les conseillers ont décidé de confier le poste à un gars d'ici. Un jeune qui était sans emploi. Et tu sais ce jeune n'avait même pas posé sa candidature de façon officielle. C'est pourquoi je te dis que l'affaire a été politiquement réglée."

L'interlocuteur poursuivit en soulignant bien qu'en fin de compte ce n'était nullement la compétence qui avait joué, mais des contacts politiques. Il voulait aussi souhaiter bonne chance en espérant et étant même certain que Bernard n'aurait aucune difficulté à se trouver un travail rapidement et dans le même domaine. 

Normalement on aurait pu s'attendre à ce genre de résultat. Denis Auray lui avait clairement souligné cet état de choses qui est toujours présent dans l'obtention d'un poste de dirigeant municipal. Guy Marcheterre aussi en avait glissé un mot. La direction d'un aréna même dans une petite ville comme Ste—Anne-des-Monts devait sûrement être contrôlée par les "politicailleux" de l'endroit. " Les Japonais n'ont pas inventé le monde " avait-il dit.

La politique existe partout que ce soit sur une grande échelle ou une petite. Elle commence même dans la famille où le père et la mère ont parfois un préféré parmi leurs enfants. 

Si seulement le poste de dirigeant d'aréna avait été pour une municipalité comme Bonaventure ou pour une autre située près de son patelin natal, il aurait eu beaucoup plus de chances en sa faveur. Et c'est ce que l'on avait vaguement tenté de lui faire comprendre pour que s'il ne se retirait pas de la lutte; au moins qu'il en soit conscient et qu'il prenne les mesures en conséquence.
Chose qu'il n'avait pas faite à part se créer quelques amitiés au sein de l'administration des loisirs, mais en évitant bien de mettre en présence de quelconques complots à saveur politique. 

Et voilà qu'il avait perdu la partie. Ses cartes n'étaient pas les bonnes . 

Il devrait rejouer ailleurs ou abandonner complètement. Abandonner ce n'était pas, tellement son genre et il avait appris que le malheur d'un échec cache toujours une plus grande réussite derrière lui. 

Mais qu'est-ce qu'un individu qui venait à peine d'avoir 20 ans, avec seulement une dizaine année d'éducation scolaire et qui a détruit tout ce qu'il possédait comme contacts personnels en les abandonnant à Sept-Îles et en revenant dans sa région natale. Que peut-il faire vraiment pour rebâtir un empire personnel. C'était la question à résoudre et de toute évidence, si la réponse existait il faudrait très certainement bûcher dur et chercher profondément pour la découvrir et repartir ainsi sur les cendres du passé. 

Le mois de septembre n'apporta rien de spécial. Bernard se reposa et fit quelques démarches afin de mettre en vente certaines propriétés de la famille dont on ne voulait plus s'occuper suite au décès de Léonard. Il y avait aussi Sport-Santé qui se poursuivait et qui était maintenant diffusé à CHAU--TV en plus de l'être encore à la radio CJMC et CHNC. Il fit aussi quelques démarches afin de mettre sur pied ses affaires personnelles, finance et biens matériels, et entreprit quelques négociations avec une banque de l'endroit. 

Ce n'est qu'à la mi-octobre qu'il se décida à rechercher activement un emploi. Mais dans quel domaine devait-il aller ? Le journalisme ou les sports ? Il se posait sérieusement la question. Il aurait bien aimé demeurer en Gaspésie, car sa mère lui avait proposé de rester avec elle au moins durant un an afin de l'aider à liquider les affaires de la famille et elle aussi lui permettre ainsi de quitter le plus rapidement possible le village de Saint-Siméon et de retourner dans son patelin natal de New Richmond. 

Toutefois il devenait de plus en plus évident qu'il n'y avait pas de travail de disponible pour lui dans la région immédiate, du moins pas sur une base permanente. Les quelques industries locales ne s'occupaient que des pâtes et papiers et de la coupe du bois en forets. A part cela les autres employeurs possibles de la région ne s'occupaient guère de domaines où il eut pu travailler. Les municipalités ayant des services de loisirs fonctionnaient avec des budgets réduits au maximum et lorsqu'ils avaient la possibilité d'embaucher un professionnel, ils le choisissaient parmi les récents diplômés de collège et tentaient en plus de l'obtenir à bon marché en lui offrant un salaire bien souvent en dessous de la moyenne de ce secteur. 

Non de ce côté-là rien n'était disponible pour lui. 

Dans le journalisme ? Ce n'était guère mieux . 
Depuis l'époque où il était parti pour Sept-Îles à encore aujourd'hui, on pouvait entendre sur les ondes de la radio locale, CHNC,les mêmes présentateurs et lorsqu'il en arrivait un nouveau, celui-ci ne restait rarement plus que quelques mois. Il était évident que les belles tâches étaient scrupuleusement conservées par ceux qui les occupaient.

De plus sa véritable compétence à lui était dans le journalisme et non dans la présentation ou l'animation d'émissions musicales. 

Au niveau journalistique proprement dit, CHNC n'utilisait personne de vraiment responsable de ce secteur uniquement . Il restait, sur ce plan du journalisme, CHAU-TV la station de télévision locale. La non plus A l'époque il n'y avait rien de disponible sur une base permanente. Le présentateur responsable du service de l'information semblait être plus qu'intéressé à demeurer à l'emploi de CHAU-TV. Donc le poste n'était aucunement à combler. 

Finalement la seule solution était de rapidement liquider les affaires familiales et de repartir aussitôt ce travail terminé vers l'extérieur. Toutefois question de mettre en place certaines facilités et de passer un peu le temps de façon utile, Bernard décida de prêter sa collaboration à titre de journaliste à divers médias régionaux, sur une base partielle bien entendu. 

Le premier média visé fut Radio-Canada de Matane. Après un court voyage à CBGAT, il put s'entendre avec le directeur de l'information un dénommé Claude Roy. Les deux avaient convenu que pour tout le territoire de la Baie-des-Chaleurs, ce serait lui, Bernard, le journaliste responsable ou plus précisément celui qui guiderait Radio-Canada vers les nouvelles intéressantes. Autrement dit il devenait une sorte de pointeur des nouvelles. Il réaliserait aussi des textes, mais seulement lorsque le sujet serait vraiment intéressant. 

Ces fois-là, il était convenu qu'il rédigerait la nouvelle puis en acheminerait le produit fini directement aux bureaux de Matane. C'était donc là une première responsabilité à temps partiel qui tout en procurant certains revenus lui permettrait surtout d'avoir suffisamment de temps libre pour s'occuper des affaires de sa famille. Vente de terrains, de la maison familiale, etc. 

Il essayait aussi d'encourager sa mère dans l'orientation qu'elle aurait à faire prendre à ses deux jeunes fils dont un était pratiquement casé, André, qui atteint de la rougeole vers l'âge de quatre ans en était resté marqué par la surdité. Il était maintenant âgé de seize ans et c'était un institut spécialisé de Québec qui s'en occupait au plan scolaire et indirectement pour le lancer sur le marché du travail. 

C'est l'autre fils, le plus jeune qui était en moins bonne posture. Raynald, âgé de quinze ans en était encore à sa fréquentation scolaire de niveau secondaire. Bernard essayait donc de conseiller sa mère sur le processus à utiliser pour qu'il soit capable de terminer dans le moins son secondaire cinq. 

Cependant, personnellement, il aurait préféré voir son cadet sauter rapidement sur le marché du travail. Il disait souvent
" Moi j'ai commencé à travailler dès mes seize ans et vois comme cela a été bon pour moi. Le marché du travail c'est l'école de la vie et c'est la meilleure école." 

L'autre responsabilité occasionnelle qu'il occupera s'obtiendra avec l'approche des élections provinciales de 1976. Assez curieusement, le présentateur de CHAU-TV, à l'époque un type du nom de Paul Lessard, lui avait laissé entendre en privé, qu'il avait. l'intention de partir. Il en avait assez de la région et, semble-t-il, on lui offrait une belle position ailleurs. Une station de Radio-Canada en Colombie-Britannique qui l'avait approché pour qu'il s'occupe des reportages sportifs. 

I1 invita donc Bernard à s'infiltrer dans la station et à venir lui porter main forte au service de l'information et d'assurer la rédaction de certaines nouvelles qu'il aurait recueillies auparavant un peu partout dans la Baie-des-Chaleurs. 

On était aux environs de la fin octobre et les élections provinciales approchaient rapidement. Elles avaient été fixées pour le 15 novembre exactement; date où comme on sait le gouvernement Bourassa a connu une défaite quasi complète sauf dans quelques comtés entre autres celui de Bonaventure; le comté représenté par le bien connu Gérard D. Lévesque. 

Paul Lessard qui était plutôt d'allégeance unioniste avait dit à son nouveau journaliste: " Mon cher ami, je pense que tu es mon homme. Tu sais qu'on est en pleine campagne électorale et puis moi je n'ai ni le temps ni le goût de la couvrir au plan information, mais si ça t'intéresse alors elle est à toi . 

" Bernard n'hésita pas un instant et accepta. Il se devrait d'être objectif et tenter de balayer sa surveillance sur les trois comtés de la Baie-des-Chaleurs; soit celui de Gaspé détenu par le libéral le Dr Fortier, celui de Bonaventure avec Gérard D. Lévesque et enfin celui de Matapédia avec le non moins célèbre Bona Arsenault peut-être le politicien le mieux connu en Gaspésie pour sa fougue, son habilité oratoire et politique. 

Évidemment il donna préférence dans son travail au comté de Bonaventure. Il y habitait et il fut plus facile pour lui de vraiment suivre ce qui s'y passait. Toutefois il jeta aussi un coup d'oeil sur le reste de la campagne en même temps. 

Puisque nous avons raconté plusieurs anecdotes sur les principaux événements décrits depuis le début de cet ouvrage, nous allons respecter notre habitude et citer pour le présent chapitre la situation suivante que Bernard lui-même se plaît à raconter lorsqu'il parle de ses jeunes souvenirs politiques . 

Dans le comté de Bonaventure, il y avait trois candidats manifestant un certain sérieux. D'abord le député au pouvoir, Gérard D. Lévesque. Puis le candidat du parti québécois, un docteur de la Gaspésie, Jean-Paul Audet qui avait quelques chances de remporter la victoire non pas tant grâce à son habilité personnelle, mais parce qu'il avait une très bonne organisation. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé pour plusieurs autres comtés de la province où c'est le parti québécois qui a remporté la victoire. Bien souvent c'est l'organisation de comté qui a fait gagner la partie. 

Il y avait enfin le candidat de l'Union nationale, un homme d'affaires de l'endroit propriétaire de la chaine régionale de cinéma, Louis Roy. 

Personnellement Bernard n'appuyait aucun des candidats en lice. Certes dans sa famille on avait toujours été libéral de père en fils, mais lui n'avait pas encore choisi de couleur précise. 

Toutefois la verve de René Lévesque ne l'avait pas totalement épargné et il ne pouvait s'empêcher de respecter le chef du parti québécois même si l'idée de la séparation ne lui plaisait pas pleinement. 

D'un autre côté, dans le comté de Bonaventure, Gérard D. Lévesque est un fils de la région et il est rare dans la population, malgré ce qu'on en dit, que l'on ne respecte pas ce député qui représente le comté de Bonaventure depuis le 28 juin I956. Cette date est également celle de la naissance de Bernard qui trouvera très étrange pareille analogie lorsqu'elle lui sera soulignée plus tard à l'Assemblée nationale. 

Ainsi lors de la campagne, Bernard comme tous les autres était tenté d'admirer le candidat libéral. Restait celui de l'Union nationale qui si aux dernières élections représentait un parti plus ou moins fort, lui le candidat était on ne peut plus intéressant à écouter. Louis Roy a cette facilité de contact qui met immédiatement à l'aise les gens qu'il rencontre. Donc il n'avait pas épargné le jeune journaliste de CHAU . 

Et c'est précisément là que commençait tout le problème. Qui appuyer officiellement et dans la réalité durant cette campagne ? 

Pour le travail journalistique, ça pouvait toujours aller, il n'avait qu'à demeurer objectif et tout irait bien, mais pour son appui personnel, là il devait trancher et accepter de favoriser l'un des candidats en lice. 

Toutefois ce problème d'allégeance se résoudre de lui-même ou presque et de ce fait ne causa que peu de difficultés. 

Durant l'une des fins de semaine de la campagne, Bernard se décida de parcourir la Gaspésie et d'assister en partie aux différentes assemblées publiques tenues par les candidats en lice. Il avait planifié son emploi du temps selon l'horaire de l'ensemble des candidats et il devait être capable, selon ses prévisions, d'assister à au moins une période de chacune des réunions. 

Il partit donc. 

Le premier rassemblement sur sa liste était celui du parti libéral, qui pour les deux comtés, celui de Bonaventure et de Gaspé, ne présentait qu'une seule assemblée et visiblement le député de Bonaventure était venu tenter d'aider son collègue Fortier à gagner quelques votes. 

Cette réunion de militants était prévue pour deux heures de l'après-midi en une salle scolaire de Chandler. Arrivé tôt sur les lieux il remarqua que CHNC était aussi sur les lieux, le parti avait tout simplement acheté du temps d'antenne pour diffuser en direct le compte rendu du rassemblement. Plusieurs autres journalistes, pratiquement tous ceux en poste dans la Gaspésie, étaient également sur place. Des représentants pour la plupart des journaux locaux. 

Vraisemblablement la grosse artillerie était sur place et on en arrivait encore plus à cette conclusion lorsqu'on vit arriver Gérard D.Lévesque et le Dr.Fortier qui s'étaient fait accompagner par près de quinze ou vingt maires des principales villes ou municipalités de la Gaspésie. Tous appuyaient sans condition le parti libéral et ils étaient venus l'affirmer ouvertement. 

L'ensemble de la foule, environ 400 à 500 personnes, semblait-elle aussi appuyer entièrement le parti en démonstration et aucune remarque négative ne sortait des estrades. 

"Bon! Et bien allons voir ailleurs": se dit Bernard . 

Il se rendit dans une rue voisine où à la polyvalente de l'endroit, c'est le candidat du parti québécois de Gaspé, Jules Bélanger, qui réchauffait l'esprit de ses militants. L'ambiance était cependant plus calme et on se serait cru au théâtre. Les quelques 400 à 500 personnes, approximativement il y avait le même nombre de gens qu'au rassemblement simultané du parti libéral, étaient confortablement assises dans l'amphithéâtre et écoutaient presque religieusement le candidat Bélanger qui, seul sur la scène avec en retrait quelques organisateurs installés à une table, expliquait la situation politique de la province telle qu'il la voyait personnellement. 

"Bon!Et bien on peut encore aller voir ailleurs": se répéta Bernard à nouveau . 

Il était environ 3 heures 30 et tel qu'il l'avait prévu selon son horaire, il entrevoyait d'être rendu à Port-Daniel vers les 16 heures afin d'entendre durant quelques minutes le candidat péquiste pour le comté de Bonaventure. Toutefois c'était sans prévoir une voiture qui roulerait lentement et qui bloquerait la circulation. Lui comme les autres se retrouva dans la file et arriva à Port-Daniel avec quelques minutes de retard, il était environ I6 heures 20. Il se rendit cependant immédiatement à l'endroit où était prévu le rassemblement du parti québécois. 

À sa grande surprise la salle de réunion était presque vide. 

" Ouais. C'est déjà fini " pensa-t-il intérieurement. 

Il posa quand même la question à quelqu'un sur place, un individu qui semblait l'avoir reconnu pour peut-être l'avoir déjà vu au petit écran. Celui-ci répondit poliment :" oh non monsieur Bujold, le rassemblement n'est pas terminé. Voyez vous c'est que le Dr Audet a connu du retard, mais il devrait être ici vers I7 heures."

Bernard en profita pour demander si les autres militants allaient revenir vers cette heure pour encourager leur candidat. Seulement une trentaine d'individus étaient présents. 

Le sympathique informateur lui répondit que probablement il n'y aurait pas plus de participants en ajoutant même qu'il considérait comme belle la présence d'autant de partisans. Il expliqua aussi que ce soir à Port-Daniel il y avait un souper de la Légion canadienne où pratiquement tout le village et les environs s'étaient donné rendez-vous. Les soupers de ce genre étaient énormément populaires et il se demandait même pourquoi il n'y avait pas été lui aussi.

Voulant profiter de la bonne volonté que semblait manifester l'individu qui était devant lui, Bernard demanda enfin si selon ses sources d'informations il était en mesure de le renseigner sur la participation qu'on avait connue plus tôt en après midi lors des rassemblements de ce parti, le parti québécois? 

L'informateur répondit qu'il venait de téléphoner à Bonaventure où il y avait eu un rassemblement à 14 heures.Environ une cinquantaine de militants étaient présents. À Paspébiac on avait compté environ le même nombre de participants. Avec ça Bernard en savait maintenant suffisamment et il regagna son domicile à Saint-Siméon. 

Le lendemain il se rendit à la station et présenta pour le bulletin d'information du soir, un compte rendu de cette fin de semaine d'activités politiques. Il soulignant évidemment les faits tel qu'il les avait vus. 

-Le parti libéral avait rassemblé ses gros canons; l'union nationale dans Gaspé n'avait rien fait de précis durant cette fin de semaine; et dans Bonaventure le candidat avait réuni une centaine de militants dans une salle communautaire de Caplan. (Bernard avait contacté quelques amis à lui afin de s'informer sur ce qui s'était passé à ce rassemblement qu'il n'avait pu couvrir personnellement ) 

Enfin il commenta la fin de semaine du parti québécois en disant : "Dans Gaspé quelques 400 à 500 militants s'étaient réunis. Et dans Bonaventure et bien quelques-uns seulement avaient participé et le parti n'avait pas fait un grand rassemblement, mais plusieurs petits. En gros leur cas était le moins réjouissant de tous les partis du moins pour ce qui était de la dernière fin de semaine..."

Cette nouvelle fut diffusée le soir, au bulletin de 18 heures 30, nouvelle qui avait été enregistrée plus tôt en après-midi. 

Cette même soirée il entreprit de se rendre assister à une réunion de ce parti québécois qui semblait plutôt se diriger vers un échec. Il arriva sur les lieux vers I9 heures 15. 

Quelques minutes plus tard, il vit le candidat du parti, le Dr.Audet arriver à son tour accompagné de quelques collaborateurs. Bernard se dirigea vers lui, question d'obtenir un peu ses commentaires sur le pourquoi de sa situation qui logiquement était plus ou moins encourageante. 

Les commentaires vinrent plus vite que prévu et même par surprise:
 " T'en fais des belles. Tu es en train de me faire perdre mon élection. On ne veut plus te voir ici. Des journalistes comme toi on en a pas besoin. " 

Bernard se retourna pour voir s'il n'y avait pas personne derrière lui qui fut également journaliste. Non il n'y en avait aucun. Alors nécessairement ces paroles s'adressaient à lui. 

Le candidat Audet continuait de sermonner et commençait à élever la voix. Ce dernier, Bernard, tenta alors de lui expliquer qu'il n'avait fait que de décrire une situation, que dans le fond il ne lui en voulait pas particulièrement et que même il admirait son chef, René Lévesque. S'il avait fait une erreur et bien il la corrigerait le lendemain lors du prochain bulletin de nouvelles. 

Le candidat Audet ne voulait rien entendre, Bernard Bujold était en train de lui faire perdre son élection et il ne voulait plus le voir dans ses réunions. Plusieurs connaissances de la région étaient présentes et regardaient d'un oeil plus ou moins direct l'ensemble du débat qui était en soi plus intéressant que le discours politique, pour lequel au départ les militants s'étaient rassemblés, qui était à venir. 

Visiblement gêné devant ces gens, Bernard décida de sortir au plus vite de ce guêpier dans lequel il s'était mis les pieds sans toutefois en avoir réellement conscience. 

Le lendemain soir lors de sa description quotidienne de la situation de la campagne, il commenta l'état de chacun des partis, mais lorsqu'il en arriva au fameux parti québécois dans Bonaventure il dit : " Quant aux péquistes et bien c'est dans une rage bleue que le candidat Audet s'en est pris hier à la presse. I1 prétend que celle-ci ne donne pas un compte rendu exact de sa campagne."

C'était certainement le meilleur comportement a adopté face à une attaque de ce genre. Du moins c'est ce qu'ils avaient décidé lui et Paul Lessard le directeur officiel de l'information durant cette époque. 

Bernard commentera par la suite, après les élections provinciales d'alors, cette réaction du candidat Jean-Paul Audet qui s'était finalement vu défait par Gérard D. Lévesque: " Personnellement je ne croyais pas avoir dit des faussetés lors de ma description des assemblées des différents partis politiques en lice. Néanmoins je sais très bien qu'il ne doit pas être tellement intéressant de se faire dire publiquement à la télévision que sa campagne prend le bord. Le Dr Audet avait peut-être raison d'être fâché, mais pas parce que j'avais fait état de son cas et pour la façon dont je l'avais interprété. Il aurait dû tenter de m'expliquer son point de vue et de m'indiquer comment il allait améliorer sa popularité. Il était inutile de m'engueuler; il se mettait un atout potentiel complètement à dos. Je ne dirais pas que j'ai été contre lui par la suite dans mes reportages sur cette campagne, j'ai continué d'être objectif. Mais dans mon coeur j'avais ce Audet bien en rejet ." 

Il y a certainement ce point où le candidat du parti québécois n'a pas bien agi et c'est en insultant Bernard devant les gens de sa propre région . Même en admettant que ce dernier ait réellement mal décrit la participation des gens aux assemblées publiques du parti québécois, le politicien le plus débutant aurait tenté d'arranger les choses à l'amiable surtout lorsqu'il aurait vu que le fautif semblait être de très bonne foi.


C'est un peu comme l'individu qui donnerait un coup de pied dans le derrière de quelqu'un en lui disant qu'il est un vulgaire imbécile et que quelques minutes plus tard il irait voir cette même personne et lui demanderait de lui arracher une dent parce que ce dernier est son dentiste. Inutile de dire que ce dentiste chercherait consciemment ou non à obtenir vengeance pour le coup de pied qu'il a reçu quelques minutes auparavant. 

Dans la politique on pourrait dire que les journalistes sont connes les "dentistes " des politiciens. 

Certes, dira-t-on, les journalistes doivent être objectifs. Mais ils sont avant tout humain et lorsqu'ils ont à interpréter des faits et d'en donner un compte rendu, il est certain que si l'objet qu'ils décrivent leur a causé bien des problèmes alors le texte de nouvelle s'en ressentira. 

Il est prouvé qu'aucun de ceux qui ont à s'occuper de l'information ne peuvent-être complètement neutre et qu'à chaque reportage l'appréciation personnelle du journaliste rapportant les faits influence l'ensemble de la nouvelle et son interprétation publique. Même s'il demeure objectif dans les mots, sa façon de livrer le texte contribuera à faire apprécier l'ensemble de l'idée exprimée de façon favorable ou défavorable. 

Donc dans le cas du candidat péquiste de Bonaventure lors des élections de I976, il avait manqué â la règle première et fondamentale de la politique et ajouté à ses autres erreurs; il n'a pas pu remporter la victoire finale. 

Cette campagne comme on sait se termina en faveur de Gérard D. Lévesque, un individu fortement identifié à l'Assemblée nationale et qui au nombre de ses qualités, possède un art oratoire extraordinairement développé. Il est de la classe des Trudeau, René Lévesque, Maurice Bellemarre et des autres grands de l'élocution verbale. 

Le style de Gérard D Lévesque est pour sa part fortement influencé par sa formation d'avocat et on retrouve plusieurs figures du plaideur juridique. 

Dans le comté de Gaspé, ce fut la défaite des libéraux et la victoire surprise d'un curé, Michel Lemoignan qui portait les couleurs de l'Union nationale. Je dis surprise, car le candidat Jules Bélanger était fortement favori. D'ailleurs dans la majorité des comtés, la vague du parti québécois avait réussi à tout balayer sur son passage et même dans le comté de Matapédia, appartenant à Bona Arsenault, les péquistes avaient remporté la palme. 

Il faut cependant dire pour le fief de Bona Arsenault, qu'il a quelque peu aidé à sa défaite préférant laisser la place à de plus jeunes et s'occuper plus activement de ses recherches sur le peuple acadien. Cet unique politicien en son genre était âgé aux dernières élections de 74 ans. Il est né le 4 octobre 1903 . Un âge plus que respectable pour un politicien actif. 

Quelques semaines avant la campagne, Bernard avait vu s'offrir à lui une autre possibilité d'employer pleinement l'année qu'il avait promis de passer en Gaspésie avec sa mère. Depuis longtemps bon nombre de ses amis, patrons ou simples collègues de travail, lui conseillaient presque régulièrement de retourner aux études. Il ne possédait qu'une dixième année et c'était bien peu surtout en considérant les ambitions élevées qu'il affichait ouvertement et de façon continue. Il s'était donc inscrit, pour un peu régler ce problème d'éducation scolaire, à un cours de recyclage devant lui donner une accréditation pour son secondaire quatre. Les cours se dispensaient en soirée . 

"Tout au moins s'il devait passer une année à travailler pour sa famille, au moins il n'aurait pas perdu son temps": se disait-il en lui-même. 

Il ferait un peu de journalisme à temps partiel, question de mieux connaître ce secteur professionnel, il poursuivrait son travail de recherches sur le sport et la publication de ses chroniques Sport-Santé du moins à CJMC et à CHAU TÉLÉVISION, car le directeur de CHNC, Arthur Houde, lorsqu'il avait aperçu Bernard au petit écran de la télévision régionale et que celui-ci était en train de relater quotidiennement des comptes rendus de l'actualité de la Gaspésie, i1 avait presque immédiatement fait cesser le contrat de service concernant Sport-Santé et sa station CHNC. Il faut dire qu'il existe un esprit de clocher entre la télévision et la radio de la Gaspésie. Les deux directions sont comme chien et chat et c'est tout juste si on se parle. C'est un peu la même situation dans la plupart des régions de la province où entre petits médias du même genre; journal avec journal ,station de radio avec une autre station de radio, on se fait une lutte parfois sans merci. 

Mais une station de télévision en rivalité avec une station de radio de la même région et ne collaborant aucunement ensemble, ça, c'est plus rare. C'était cependant le cas pour la Gaspésie du moins durant l'époque . 

Ainsi Bernard, en plus de toutes les activités citées plus haut, commença vers novembre I976 à fréquenter les institutions scolaires de sa région. Et assez étrangement c'est à cette même polyvalente de Bonaventure, où il avait reculé et refusé de pénétrer à l'intérieur de ce monstre sans coeur qu'est une polyvalente moderne, qu'il obtiendra son accréditation de niveau secondaire quatre. 

Parmi les souvenirs qu'il conserve de cette période des cours de recyclage, c'est surtout celui d'une personne. Un professeur qui lui enseignait le français. Une jeune femme mariée et mère de deux ou trois enfants. Son nom est Claudette Henry, de par son mari Gérard Henry, bien que son nom à elle soit Gauthier. 

Bernard deviendra d'une certaine façon bon copain avec Claudette et il conservera longtemps le contact même après avoir terminé la fréquentation des cours de rattrapage de la polyvalente de Bonaventure. Il voyait un peu en Claudette comme une grande soeur qu'il n'a pas eue et qu'il retrouve d'ailleurs souvent chez certaines de ses amies féminines. 

Cette Claudette Henry organisera aussi une rencontre entre Bernard et la plus jeune de ses soeurs, Louise Gauthier, qui était presque du même âge que celui-ci. La façon dont s'est préparé ce complot est très drôle à  connaître du moins est digne de la gent féminine. Nous ne la raconterons pas, mais disons simplement que Bernard trouva très gentille la soeur en question, Louise, et qu'il la considère très fortement. 

Quelques semaines après les élections provinciales de 1976, Paul Lessard le directeur de l'information à CHAU-TV quitta son poste tel qu'il en avait soufflé mot auparavant. La responsabilité était donc à combler. Évidemment à première vue Bernard n'avait pas hésité à postuler pour l'emploi bien que cela le contrariait un peu. Il venait tout juste de commencer la fréquentation de ses cours de rattrapage scolaire et en journée il commençait à aimer le genre de vie que lui permettait de mener sa situation qui était peut-être exceptionnelle, mais avantageuse pour lui. 

Ses quelques activités de journaliste occasionnel le satisfaisaient pleinement surtout qu'il songeait toujours sérieusement à faire un retour dans le monde du sport au plan administratif. Une ville comme Québec ou Toronto l'aurait énormément enchanté. Accepter un poste de présentateur-journaliste pour la télévision de la Gaspésie sur une base permanente aurait signifié l'abandon d'une part de ses cours, mais aussi la fin d'un espoir de partir vers l'extérieur, vers d'autres cieux et d'autres aventures dès l'arrivée de l'été. 

Bien qu'il ait officiellement soumis sa candidature et consentit, moyennant une entente spéciale lui permettant de continuer à fréquenter en soirée la polyvalente de Bonaventure, à assurer une certaine forme d'intérim en attendant que le remplaçant définitif soit choisi; il demandait sincèrement ce qu'il ferait advenant qu'on lui accorde le poste ce qui était fort probable. 

Le mieux était certes d'attendre, mais il valait mieux commencer à trouver une possible porte de sortie. 

L'intérim dura finalement plus longtemps que prévu. L'entente prise avec la direction de la station était avantageuse pour Bernard sous plusieurs plans et de son côté l'administration en tirait aussi avantage. Utiliser un présentateur et journaliste sous forme contractuelle était plus économique qu'en permanence. 

Notons qu'à l'époque, Yvon Chouinard s'occupait en grande partie de la rédaction commerciale ce qui enlevait une bonne partie du travail à l'autre présentateur. Bien sûr la station devrait un jour remédier à cette situation et embaucher un responsable à plein temps, mais pour quelques mois il est facile de s'expliquer devant le C.R.T.C. et on peut toujours prétendre que l'on ne trouve pas le candidat idéal et que le concours est ouvert. Ce n'est qu'en début de mars I978, que le directeur général, Yvon Chouinard annonça à Bernard que selon lui il se tirait très bien d'affaire et qu'il pensait que ce dernier pourrait s'il le voulait occuper la fonction sur une base permanente. Il ne restait qu'à faire confirmer cette décision par le comité de direction de la station qui était formée de divers administrateurs et quelques actionnaires. Et évidemment le plus important, il fallait que Bernard accepte d'occuper le poste. 

Quant à lui personnellement il n'avait pas hésité à dire qu'il accepterait la fonction si le comité approuvait la décision.  

Il avait fortement médité et en était venu à la conclusion qu'il pouvait être très bien en Gaspésie et surtout qu'il possédait une magnifique demeure à Saint-Siméon qui comportait toutes les commodités et était très bien située dans le centre du village. Les nombreuses facilités que lui procurerait son poste à la télévision de la Gaspésie avaient finalement suffi pour calmer et peut-être même éteindre ses besoins de grandeur et il s'était fait à l'idée de ne plus quitter sa Gaspésie natale. 

Mais il fallait avant tout pour que cette réalité soit concrète que le comité de direction appuie la décision du directeur Yvon Chouinard. Cette décision du comité fut une surprise totale. Yvon Chouinard y figurait en bonne place, mais plusieurs autres directeurs de la compagnie de télévision y prenaient également place et avaient leur mot à dire. La réponse finale avait été : non pour l'embauche de Bernard Bujold sur une base permanente. Que s'était-il passé ? Selon certaines informations il semble que c'est un des administrateurs, qui s'entendait très mal avec Bernard bien qu'aucune raison ne le motivait réellement, et qui aurait fortement critiqué le travail de celui-ci en appuyant surtout sur ce jeune postulant le fait que était trop jeune et ne possédait pas assez d'instruction scolaire pour s'occuper du poste de présentateur-journaliste à la station de télévision qu'était la leur. 

Si Yvon Chouinard avait reconnu les mérites de Bernard et était persuadé de son talent, il lui était bien difficile cependant de s'opposer aux commentaires d'un des administrateurs qui même s'il n'avait pas à recevoir d'ordres directs de lui n'en était pas moins l'un des piliers importants l'administration au niveau de la haute direction. 

Bernard Bujold était une nouvelle connaissance pour lui et si on voulait sa tête, comment faire autrement que de la laisser aller comme le fit Salomon avec Jean-Batiste...

La nouvelle fut annoncée par Yvon lui-même de façon plus ou moins directe au cours d'un entretien amical. Son jeune journaliste pris même quelques minutes avant d'en saisir le sens. Puis ayant compris, une rage intérieure le gagna totalement. Lui qui avait hésité longtemps avant même de consentir à occuper le poste de façon définitive voilà qu'au moment où il se décide à l'accepter que l'on décide de ne plus le lui donner.C'était jouer au fou avec lui. Alors qu'il demandait qui était le responsable de cette décision contraire à la première, il comprit bien vite que son ami, mais aussi directeur de CHAU-TV ne trahirait pas le coupable de ce geste qui cachait de toute évidence une vengeance punitive. Il respectait Bernard, mais les réunions du comité de direction étaient des choses secrètes et il se devait par honnêteté, envers son patron en définitive de respecter un tel embargo. C'était la loi du silence. 

Bernard en viendra cependant à connaître le fin fond de l'histoire et à apprendre le nom du responsable de cette guillotine, mais il devra pousser son enquête en utilisant toutes les subtilités du journaliste qu'il est. N'a-t-on pas dit qu'un journaliste est un peu un détective? C'est du moins la définition que Bernard donne en premier lieu du journalisme.

Il n'y avait pas trois semaines que le poste de chef des nouvelles était occupé par un individu sur une base permanente, un certain Claude Gauthier de Chicoutimi, qu'Yvon Chouinard entra en communication privée avec Bernard qui continuait de collaborer avec le service des nouvelles de CHAU-TV malgré le mauvais coup qu'on lui avait fait. Il s'était dit inutile d'être rancunier de toute façon je vais partir des l'été prochain. 

Yvon Chouinard parla d'une voix calme, mais cachant mal une forme de gêne et lui dit :" Salut Bernard ça va bien ? Est-ce que ça t'intéresserait de revenir occuper l'intérim? L'individu que l'on a engagé s'en va. On pourra peut-être parler de permanence pour toi, tu sais que ... " 

Le directeur de CHAU n'avait pas terminé sa dernière phrase. Cependant Bernard avait compris et il comprendra encore plus par la suite. L'individu qu'on avait embauché ne faisait tout simplement pas le poids au niveau des qualifications et de son habilité en ondes. La direction avait finalement dû se rendre à l'évidence. On s'était mis le doigt dans l'oeil, mais pour l'avenir on serait tranquille, car celui qui croyait guillotiner se trouvait avec cette fois le couperet au-dessus de sa propre tête. 

Dorénavant dans les questions de choix du personnel devant servir en ondes et pour le travail journalistique il devrait laisser cette responsabilité à d'autres mieux qualifiés pour de telles besognes. C'est ainsi que le directeur de CHAU-TV avait voulu tendre une perche à Bernard en espérant bien que celui-ci l'attraperait et ne conserverait pas de haine intérieure contre la station ou son administration et qu'il accepterait d'assurer la permanence. 

Foncièrement il ne conservait aucune haine ou rancune et i1 était même content de la tournure des événements et de son non-engagement trois semaines auparavant. Dès juin, après avoir terminé le travail pour sa mère, il pourrait partir pour l'extérieur. Possiblement qu'en plus de travailler il essayerait de continuer ses études scolaires et d'obtenir une quelconque qualification officielle. Il n'avait que 20 ans et c'était aussi bien d'en profiter pendant qu'il était jeune. 

Il est en effet beaucoup plus difficile de se discipliner à retourner aux études lorsque l'on est âgé d'une trentaine d'années, que l'on est marié et père de deux ou trois enfants. Il voulait donc prendre de l'avance sur ce temps, mais tout en continuant de gagner honorablement sa vie. 

Aussi il fut catégorique avec le directeur de CHAU-TV et il lui indiqua fermement qu'il accepterait volontier d'assurer un intérim comme précédemment. Il pouvait le faire pendant quelques mois même, jusqu'en août de la présente année si nécessaire, mais qu'il avait de façon définitive décidé de partir à la fin de l'été, probablement pour Québec ou encore Toronto, ville où il avait obtenu des indications qui pouvaient lui permettre de faire un retour dans l'administration des loisirs municipaux. 

Il souligna également à Yvon Chouinard que ce n'était pas la haine qui le motivait, mais la logique. Pour sa part, le directeur de CHAU sembla comprendre assez bien ce que lui racontait son protégé. Il avoua que c'était une bonne décision et qu'avec le temps il y gagnerait sûrement d'avoir agi ainsi. Du fond du coeur il lui souhaitait bonne chance et serait toujours disposé à dire un bon mot pour lui au besoin. 

Auparavant il fallait cependant travailler et si Bernard le voulait, il lui offrait s'occuper de la station et du service des nouvelles dès le lundi. Proposition qui fut immédiatement acceptée. 

Plusieurs anecdotes proviennent des moments passés à cette station de télévision toutefois l'une des plus drôles et touchant directement le domaine de la télévision est celle du " magnétophone dissimulé " . 

Bernard a la mauvaise habitude de parler ouvertement de ses aventures amoureuses. Bien souvent en ce domaine il en ajoute un peu et il faut savoir doser normalement les faits. 

Même s'il adore être en compagnie féminine, il n'est pas du genre "Valentino" et il doit comme tout le monde lutter quelque peu pour gagner ses proies féminines. 

Un bon après-midi alors qu'il était installé â son pupitre en studio pour entrer en ondes, il discutait amicalement comme c'était régulièrement le cas avec le caméraman ,un dénommé Pierre St-Orge. Celui-ci, sans toutefois que Bernard ne s'en aperçoive réellement, l'amena à parler d'une nouvelle secrétaire que la direction de la station venait tout juste d'embaucher. Une fille assez bien tournée d'environ 20 ans et qui ne semblait pas avoir de cavalier permanent, du moins pour le moment. 

Il demanda à Bernard s'il allait se " déniaiser" et inviter la fille en question, une certaine France Caissy. Il prétextait qu'eux, les autres employés de la station, ils étaient tous mariés, mais lui Bernard était un jeune célibataire alors...

" Comment me déniaiser? Si tu savais mon vieux ce que suis capable . Ici à la station j'en ai déjà fait tomber une dans mon piège. ( ici il nomma la fille en question ) Je ne te mens pas. Avec France et bien Clic et c'est dans la poche. Je veux toutefois faire comme le chasseur devant le lièvre. Je veux traquer ma proie. Pauvre Pierre, tu sais que je pourrais te donner des cours sur ce sujet. " 

Il continua ainsi à se vanter de mille et une qualités et talents pendant presque dix minutes et si ce n'eut été de son entrée en ondes, il aurait encore continué tellement il s'était emporté. 

Il faut bien dire cependant que, autant le caméraman que ses collègues à la régie technique, les Rodrigue Barriault, Clovis Arsenault et autres, l' encourageaient fortement en le provoquant, ce qui avait permis d'allonger le débat. 

Dans la réalité Bernard avait effectivement un oeil sur la faneuse secrétaire, mais il n'aurait jamais été lui raconter ce qu'il venait de dire à ses collègues de travail. L'attrait entre lui et la secrétaire semblait être réciproque et tout ce qu'il manquait c'est l'étincelle de départ pour établir le contact. 

Le lendemain de cette belle envolée oratoire sur ses performances devant le sexe opposé, notre héroïque mâle alla fureter du côté du pupitre de travail de sa cible. 

" Alors ça va bien ? Le soleil est vraiment du tonnerre, hein ?" (il faisait une magnifique journée ensoleillée et chaude). Celle-ci répondit alors tout simplement: " Non ça va pas diable. Et il ne fait pas tellement beau. " Elle s'empressa ensuite de se lever pour aller discuter avec les autres secrétaires qui semblaient avoir comme un sourire sur le coin des livres. Il devait sûrement y avoir quelque chose de louche et Bernard cru finalement s'être fait posséder encore une fois comme il lui arrive â l'occasion et il se dit intérieurement : "Il est probable que cette fille ne veuille rien savoir de moi et qu'elle cherche à me faire marcher . " 

Il décida tout simplement de la laisser tomber et d'aller mettre ses charmes à l'essai sur quelqu'un d'autre. Les choses en restèrent là jusqu'au jour, presque deux mois plus tard, l'un de ses collègues de travail vint son bureau et lui présenta une cassette en lui disant que c'était une nouvelle qu'il venait d'enregistrer par téléphone. Bernard mit machinalement le ruban dans sa machine et mit l'appareil en marche. Soudainement alors qu'il essayait de comprendre ce qui y était enregistré, il crut reconnaître son accent acadien. Oui c'était bien lui en train de jaser. 

La veille du fameux matin où il avait trouvé France, la secrétaire, de mauvaise humeur, cette fameuse soirée où il avait largement élaboré sur son habilité devant les jeunes gaspésiennes et bien on avait enregistré son envolée sur bande magnétique. Puis on l'avait, question de s'amuser, fait entendre à toute l'équipe des secrétaires de la station, France y comprise. Ce n'était pas surprenant qu'il se soit fait retourner par cette pauvre fille qui dans le fond avait bien raison d'agir de la sorte. Dorénavant toutefois il se surveillera et plus jamais, dieu non plus jamais, il ne se vantera de ses performances. 

Avec l'ère moderne, les Watergates et l'écoute électronique, c'est devenu beaucoup trop dangereux!










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CHAPITRE HUIT 
Départ pour Québec et l'Assemblée nationale


Bernard s'occupa du service des nouvelles de CHAU-TV jusqu'à la fin d'août de 1977, date où il entrera à l'Assemblée nationale du Québec à titre de journaliste parlementaire. 

Durant son séjour â la télévision de la Gaspésie, après qu'il eut pris la décision de ne pas assurer de permanence, mais uniquement un intérim, tout se passa de façon relativement normale. Il avait la responsabilité des informations, leur rédaction et narration, et ceci pour deux bulletins quotidiens, un en direct le midi et l'autre en fin de journée à 18 heures 30. Ce dernier bulletin comprenait un bloc sportif en plus de celui des actualités. 

Parmi ses autres responsabilités, il devait voir à l'animation de diverses émissions d'affaires publiques ou à caractère socioculturel. Il avait enfin en partage avec Yvon Chouinard la responsabilité des narrations commerciales et de la rédaction de ces annonces publicitaires. En bref toutes les tâches que l'on peut retrouver dans une station de télévision pour un présentateur et journaliste. 

Le fameux projet de faire accréditer un journaliste officiellement à l'Assemblée nationale pour cette station de CHAU-TV est venu durant ces mois d'avril et de mars I977. Comme précédemment, Bernard la pondit un peu par hasard et ne sachant pas très bien s'il n'était pas allé trop loin dans ses pensées et si cette fois il ne se ferait expulser. Néanmoins un peu comme un tigre aime la chasse, Bernard aime le risque et les situations difficiles donc il ne rejeta pas l'idée et tenta même de la réaliser. 

Ce dernier désirait ardemment se diriger soit vers Québec ou une autre ville, Toronto était sur la liste. Québec était sa préférée, mais contrairement à ce qui était le cas pour Toronto, à Québec, il ne connaissait personne de vraiment impliqué sur le marché du travail et principalement dans son secteur à lui. 

Bien sûr à l'époque il aurait pu se faire présenter par plusieurs de ses connaissances de Sept-Îles qui lui auraient facilement déniché un emploi à Québec, mais il ne les avait pas revues depuis près d'un an. Il n'était pas tellement certain que tous ses contacts soient encore installés sur la Côte-Nord et pas certain non plus que ceux-ci soient encore dans les affaires. 

Pour Bernard cependant Québec était en tête de liste et il aurait bien aimé s'y rendre vivre pendant un certain temps. Aussi cherchait-il un moyen qui lui permettrait avant même d'arriver sur les lieux d'avoir un emploi, sinon dans le moins une orientation. Cette orientation vint un soir alors qu'il écoutait tranquillement le téléviseur au domicile de sa mère. C'était vers la fin avril 1977. Il entendit un reportage provenant de Québec et diffusé par Radio-Canada de Matane. C'était un texte d'un certain Jacques L'Archevêque, assez curieusement Bernard aurait à le côtoyer quelques mois plus tard et être un peu son élève, qui donnait des détails sur le budget provincial que venait de déposer le gouvernement, le premier de couleur péquiste. L'événement était en lui-même très important.

Le journaliste en question,Jacques l'Archevêque, avait envoyé son message directement de l'Assemblée nationale. 

" Voilà": se dit-il "C'est l'idée qu'il me fallait " 

L'idée n'était pas tant contenu dans la narration ou dans les mesures budgétaires, mais dans cette présence journalistique à l'intérieur de l'Assemblée nationale. 

Moins de quatre mois plus tard, il y serait lui aussi à l'intérieur de ce parlement de la province de Québec. Certes il faudra certains préparatifs, mais il avait trouvé, cette soirée là, le visa dont il avait besoin pour visiter la vieille capitale. 

Il ne tarda pas à soumettre l'idée à un potentiel leader, CHAU-TV, et c'est à son ami Yvon Chouinard qu'il demanda conseil sur la valeur de l'idée qu'il venait d'avoir. Chouinard apprécia l'objectif et selon lui, CHAU accepterait de parrainer sa réalisation concrète. Dès lors ils entreprirent chacun de leur côté de mettre sur pied un plan de travail. Pour sa part,Chouinard s'occuperait des détails administratifs et Bernard, lui, verrait à ce qui était nécessaire de faire pour avoir accès à l'Assemblée nationale. 

Globalement cette idée de correspondance journalistique en provenance de l'Assemblée nationale était osée. Certes lui-même Bernard n'y voyait rien d'extraordinaire, mais ses collègues journaliste de l'endroit ont crié au sacrilège et tentèrent même de le dissuader de mettre cette idée en application. Selon eux, Bernard n'avait pas assez d'expérience et il se briserait complètement les reins en allant s'installer à l'Assemblée nationale. D'après leur expérience, seuls des journalistes d'au moins 30 à 40 ans pouvaient se permettre d'aller travailler en cet endroit quasi sacré. 

Pour Yvon Chouinard par contre, homme d'affaires à ses heures, cette idée n'était pas tellement excentrique ni irréalisable. Il fallait bien sûr la planifier, car elle était osée, mais tout irait pour le mieux surtout avec Bernard, qui n'avait pas froid aux yeux, comme journaliste ambassadeur. 

Finalement le processus d'accréditation auprès de la Tribune de la Presse, organisme représentant les journalistes en poste au Parlement de Québec, ne fut pas trop compliqué. Après quelques contacts par téléphone et avec quelques démarches de la part de la direction de CHAU, l'affaire semblait être bouclée, tout au moins en ce qui concernait les formalités d'intégration à l'intérieur de l'Assemblée nationale. Il restait maintenant à établir les modalités de rémunérations et de déterminer quand commencerait pareille collaboration. 

Il ne faut oublier que Bernard était encore le journaliste par intérim et que de ce fait son départ causerait un vide. Pour sa part il aurait bien aimé partir pour Québec à la fin de juin afin de pouvoir bénéficier de l'été et s'il ne s'installait pas dans l'immédiat, il en profiterait pour aller faire un tour du côté américain. Pour visiter New York, Boston, Washington qu'il rêvait principalement de visiter et depuis longtemps, car c'est un peu le berceau de l'histoire américaine, puis Détroit et enfin revenir par Toronto et rencontrer ses quelques connaissances de l'endroit. Autrement dit il aurait bien aimé prendre des vacances qui en réalité étaient dues depuis longtemps. Il n'en avait pas réellement pris depuis 1974, époque où il s'était promené un peu partout en province notamment à Shawinigan , Montréal, Rimouski, Québec, etc. 

Malheureusement il dut assurer l'intérim jusqu'à la fin du mois d'août 1977 donc il ne prit pas encore les vacances qu'il retardait d'année en année. Il faut bien dire cependant que la dernière année n'avait pas été trop épuisante bien qu'en aucun moment ses activités n'aient réellement cessé. 

Le début de la collaboration en provenance de l'Assemblée nationale avait été fixé pour le 4 septembre, la première journée de la programmation d'automne. Il n'y avait rien de compliqué comme tel dans la forme de la collaboration. C'était du journalisme tout simplement. Bernard possédait suffisamment d'expérience pour se tirer d'affaire et connaissait par ailleurs de façon presque parfaite en quoi consistaient les besoins de CHAU, ses possibilités et bien sûr ce qui pouvait intéresser les gens de sa région, de la Gaspésie. Il restait maintenant à établir une forme de rémunération. Là il pouvait y avoir des problèmes, car CHAU n'était pas un réseau d'état. C'était une petite station privée et pour qui quelques dollars valent vraiment quelques dollars. Il n'était pas question de lancer l'argent par les fenêtres et il était évident que l'on ne pourrait payer un salaire complet à un journaliste que l'on enverrait à l'Assemblée nationale alors que de façon directe l'on ne retirerait aucun argent de ce placement. Cela aiderait globalement au meilleur fonctionnement de la station, mais sans plus. D'ailleurs si Yvon Chouinard avait appuyé cette idée, c'est avant tout pour faire plaisir à Bernard, car jamais il n'aurait songé à mettre pareil projet en branle tellement les obstacles étaient nombreux du moins pour une station comme CHAU. 

En même temps il faut bien admettre que Chouinard avait reconnu l'immense avantage que procure la présence d'un journaliste au parlement et dans le cas présent on innoverait totalement ce qui fait toujours comme un velours en dedans. En effet en tant que média régional, la télévision de la Gaspésie serait la première à faire accréditer un journaliste sur une base permanente. Le premier média non seulement pour la Gaspésie, mais pour l'ensemble du Québec sauf la région du centre-ville de Québec comme tel.

L'idée était donc en ce sens toute nouvelle et bien qu'un peu risqué au plan succès, il valait la peine d'essayer. La direction de CHAU fit enfin une série d'offres sur la rémunération accordée pour ce travail. Les offres représentaient un tout, mais étaient partagées en plusieurs composantes. Malgré le fait que logiquement il ne faisait pratiquement aucun dollar durant les premiers mois, devant défrayer une foule de dépenses, il accepta la proposition de salaire. Dans son esprit l'important était de mettre le projet en branle et d'être sur les lieux. Une fois là bas il verrait comment solutionner le problème si problème il y avait. De toute façon ne voulait-il pas se rendre travailler à Québec. Mieux vaut avoir un diamant non poli qu'une vulgaire roche ou pire: que rien du tout.

Et d'autre part, il avait en tête plusieurs autres idées d'affaires fort lucratives et il avait bien l'intention d'y donner suite en plus de s'occuper de l'affaire en elle-même qu'était l'Assemblée nationale. 

Bernard quitta donc la Gaspésie le 25 août 1977. Dans sa voiture de marque Ford Mercury Montégo 1975, il avait emporté tous ses bagages allant de quelques meubles à tous ses vêtements et articles personnels. 

La voiture, un assez gros modèle, touchait pratiquement le sol tellement elle était chargée de partout. Dans le coffre, sur les sièges, il n'y avait qu'un simple espace de vide et c'était lui qui l'occupait pour conduire la voiture. 

Il regrettera cependant d'avoir ainsi trop apporté de biens ménagers, car il devra en rapporter près de la moitié chez sa mère puisqu'il n'aura pas suffisamment d'espace à Québec pour tout aménager. 

Arrivé dans la vieille capitale, la première chose à faire était de trouver un appartement. En cette période de début septembre la plupart des logements sont occupés. Les étudiants sont revenus en ville, surtout à Québec qui est considéré comme la cité étudiante de la province. Finalement c'est en pension qu'il s'installera. L'endroit disponible était situé dans un chic et confortable quartier de Québec, la ville de Sillery. C'est précisément au 1218 William chez Monsieur et Madame Adrien Mercier qu'il aménagera . Ils avaient deux enfants Sophie et Carl. 

Bernard s'y trouvera comme chez lui, car encore en 1979, il habitera à cette adresse. 

Une fois ce problème réglé, il lui fallait maintenant s'attaquer â l'Assemblée nationale en elle-même. Et c'est ce qu'il fit dès le lendemain matin très tôt. 

Il contacta un certain Daniel L'Heureux du journal LaPresse et qui était à l'époque le président des journalistes de la tribune parlementaire. Celui-ci reçut Bernard chaleureusement et lui présenta vaguement les installations dont disposaient les journalistes pour couvrir les activités de l'Assemblée législative. Environ soixante-douze journalistes étaient officiellement accrédités. Plusieurs étaient rattachés au même média, par exemple des groupes comme Radio-Canada, La presse, Le Soleil, La Presse canadienne, etc., possèdent quatre ou cinq journalistes à plein temps uniquement pour la couverture de l'Assemblée. 

L'Heureux présenta également l'équipe de commis et la téléphoniste madame Jacqueline Gosselin qui étaient rattachées à la tribune des journalistes. Ce service s'occupe de distribuer les communiqués de presse et les divers messages à chacun des journalistes. Le directeur de cette équipe est Melvin Racine que les amis appellent tous " Mel". 

Après ces présentations d'usage, Daniel L'Heureux entreprit de voir à l'installation de Bernard dans un quelconque local. L'espace disponible était restreint et on ne savait plus où caser les nouveaux venus. Finalement on trouva un endroit où il était encore possible de loger un autre journaliste supplémentaire. 

L'espace de travail était situé dans la même pièce qu'occupaient déjà trois journalistes. Néanmoins il y avait encore de la place et quelques semaines après l'installation de Bernard dans ce local on y ajoutera un cinquième occupant rattaché à l'information. 

Les collègues de bureau de notre journaliste gaspésien étaient entre autres: Jacques Larue Langlois, un très charmant individu et très sympathique avec qui Bernard deviendra bon copain, mais qui a des idées bien arrêtées sur les valeurs sociales. I1 fut aussi mêlé de façon indirecte avec les événements d'octobre 70. À l'époque il était le journaliste du journal Le Jour qui ferma ses portes quelque temps après. 

Un autre des collègues était Michel Lacombe représentant Radio-Canada et étant responsable d'une émission d'actualité au niveau de tout ce qui touche l'Assemblée nationale: PRÉSENT. 

Le troisième journaliste à occuper la même pièce est un certain Peter Cowan de l'agence de presse anglaise Southam News, l'une des plus grosses agences d'information au niveau anglophone. 

Enfin le cinquième occupant après l'arrivée de Bernard était un journaliste de langue anglaise et qui représentait CJAD, l'une des stations de radio à forte côte d'écoute dans la région métropolitaine. Ce journaliste,Bernard Saint-Laurent, avait assez curieusement déjà travaillé en Gaspésie à New-Carlisle. Il était notamment l'un des créateurs, du journal SPEC le seul journal de langue anglaise dans la Baie-des-Chaleurs. 

Au moment où Bernard Bujold arriva en poste à l'Assemblée nationale, celle-ci était en plein travail sessionnel. Cette situation fut très utile pour tremper dans le bain notre ambassadeur de la Gaspésie et lui mettre directement sous les yeux en quoi consistait le travail des parlementaires. 

En gros on pouvait comparer cela à une réunion de conseil municipal, mais sur une échelle beaucoup plus grande. Les discussions sont parfois longues et sans fondement, mais tous les participants semblent être pleinement intéressés du moins c'est ce qu'ils laissent voir publiquement à part quelques exceptions à l'occasion. 

L'une des premières visites semi-officielles qu'effectuera Bernard c'est celle à son député; Gérard D. Lévesque. Les deux gaspésiens s'entendaient bien, toutefois personne, ni Bernard ni Gérard D.Lévesque, ne voulait nuire à l'autre. Si un était un homme politique, l'autre était un journalisme qui avait une machine à lancer. 

On semblait avoir conclu comme un pacte sans même avoir à le dire, où chacun agirait de son côté afin d'éviter la création de racontars ou conflit d'intérêts. Autrement dit il était évident que plusieurs penseraient en voyant Bernard à l'Assemblée nationale que c'était le député de Bonaventure qui lui avait ouvert les portes. Car il n'est pas facile de convaincre un média d'envoyer un représentant en journalisme à plein temps â l'intérieur de ces lieux saints. Ce n'était toutefois pas le cas et si certains pouvaient le croire, c'était tant mieux cela ne ferait que de faire une publicité gratuite à chacun d'eux. Mais les deux intéressés eux-mêmes, les deux fils de l'Acadie, savaient bien qu'aucun complot politique n'avait existé entre eux sinon un lien d'amitié et de respect qui était dû aux origines et non à une reconnaissance pour service rendu. 

Une autre des figures dominantes de l'Assemblée nationale et principalement en ces années 1977, époque où vraisemblablement une page d'histoire était et est encore en 1979 en train de s'écrire, c'est René Lévesque qui lui aussi est un gaspésien.
Il est né à New-Carlisle à quelques milles de Saint-Siméon. Avec lui aussi se créera comme un pacte secret, sans qu'aucune parole n'ait été prononcée, un pacte de respect et d'admiration comme le font deux frères de sang. 

Parfois ils ne pensent pas de la même façon, mais toujours au fond du coeur ils se respectent mutuellement. De René Lévesque, Bernard dira un jour à sa mère lors d'une conversation téléphonique :
" Tu sais, j'ai assisté hier à la conférence de René Lévesque. C'est drôle, mais à un moment donné j'ai oublié l'ambiance et j'ai cru voir en ce dernier comme mon père... " 

Ce qu'il voulait dire ici c'est que le premier ministre Lévesque même dans ses hautes fonctions, a conservé les gestes et la façon de parler des gens de la Gaspésie dont il provient. 
Certes il parle un langage plus cultivé, mais le côté naturel et chaleureux de ses discours ou simples discussions entre amis ressemble en tout point à ce que seul un gaspésien peut faire. C'est d'ailleurs probablement de là que vient le charisme de René Lévesque et pour cette raison qu'il est si habile à évoluer dans une foule. On peut même dire qu'il maîtrise parfaitement l'art de la communication. Il n'est ni hautain ni timide, mais juste sur le bon niveau, suffisamment autoritaire et candide à la fois. On pourrait même avancer que son petit air bonasse influence beaucoup lorsque quelqu'un l'écoute et devient comme charmé et convaincu . 

Bernard s'installa donc dans son nouveau bureau de travail et commença à produire quelques textes pour les acheminer à la station qu'il représentait. Il tentait de donner une saveur régionale à des développements d'ordre national. Les mesures budgétaires, les projets de loi, les changements administratifs, etc.
Rien n'était bien compliqué, car il avait une bonne expérience du journalisme régional et il n'hésita pas non plus à regarder et surveiller d'un oeil mi-secret, les façons de faire de ses collègues journalistes au parlement. 

Il considérait comme une chance inouïe la possibilité qu'il lui fût offerte de côtoyer ainsi des journalistes hautement rodés et pour qui l'art des communications n'a plus aucun secret. C'est d'ailleurs un peu vrai pour sa chance, car il fut, lors de son arrivée à l'Assemblée nationale, le plus jeune de tous les journalistes jamais entrés travailler en ce parlement depuis sa mise sur pied en 1792, époque de la première séance législative de la province de Québec appelée alors le Bas-Canada. 

S'il eut accéléré sa venue et était arrivé avant juin, il aurait pu augmenter ce record, il n'aurait été âgé que de 20 ans puisque son anniversaire est le 28 juin, mais le chiffre de 21 ans lui faisait quand même très honorable et ses collègues le lui soulignèrent souvent. Il était le cadet de la galerie parlementaire de Québec. C'était un événement exceptionnel. 

La question était maintenant de savoir si ce Bernard Bujold resterait longtemps à l'intérieur du Parlement où s'il n'était que passé en éclair comme la flamme d'un feu de paille. Seul l'avenir pourrait le leur dire. 

Quelques semaines après son installation sommaire à Québec; à sa résidence personnelle et dans ses locaux de travail; il commença à songer de promouvoir ses affaires personnelles. Premièrement il décida de voir s'il n'y avait pas une possibilité de poursuivre son éducation scolaire par les soirs. Une ville comme Québec devait sûrement posséder des facilités de ce genre et il serait intéressant pour lui d'en profiter. Il réussit ainsi à s'inscrire à un cours de rattrapage de niveau secondaire cinq qui se donnait en soirée et où il restait encore une place de disponible. Il pourrait donc consacrer ses journées à ses affaires professionnelles et le soir s'adonner à parfaire ses qualifications officielles. 

Au niveau professionnel il ne savait pas encore très bien s'il s'installerait solidement à l'Assemblée nationale ou s'il repartirait dans le domaine des sports municipaux. Au niveau des sports cependant les possibilités semblaient être restreintes du moins ce qui était disponible n'offrait que peu d'avantage. Il serait donc, selon lui, préférable de battre le fer dans le domaine du journalisme politique. 

Si certains hommes d'affaires risquent quelques dollars sur certains projets il pouvait bien lui aussi en risquer quelques-uns sur cette carrière de journaliste. Il entreprit donc d'élargir les possibilités de travail au Parlement en offrant sa collaboration à divers médias de la province et ainsi leur proposer d'être un peu comme leur pigiste. D'une part CHAU-TV le supporterait et il n'aurait qu'à se servir de la même formule qu'il avait utilisée quelques années auparavant avec Sport-Santé. 

On se souviendra que les résultats avaient été plutôt restreints, mais ce n'avait pas été totalement l'échec donc on pouvait encore croire en la formule. Il prit cependant certaines précautions et décida de consacrer quelques heures par jour à l'implantation de ses affaires personnelles au plan financier et commercial. Il était ainsi assuré de pouvoir conservé une certaine aisance quoiqu'il arrive. Il s'impliquera notamment dans le sport avec les gymnases de conditionnement physique et dans les placements bancaires. 

Cet ouvrage ne serait pas complet s'il n'y avait pas l'anecdote coutumière sur cette période de l'arrivée à l'Assemblée nationale de Bernard Bujold. Cette fois c'est plutôt une interprétation de sentiment qu'un fait cocasse. 

Bernard était assis au Salon Rouge; c'est l'une des deux salles officielles qui composent l'édifice législatif en lui-même, c'est dans ce salon entre autres qu'ont lieu les commissions parlementaires et les débats publics sur les projets de loi, et il devait assister en tant que journaliste à la visite de quelconque dignitaire étranger entre autres Alain Peyrefitte ministre de la Justice et garde des Sceaux du ministère de la Justice en France . 

Les responsables protocolaires étaient sur place et semblaient très nerveux. Accompagnait le dignitaire français: le premier ministre Lévesque et quelques autres personnalités comme les chefs des principaux partis politiques du Québec. 

La plupart des journalistes de la Tribune parlementaire étaient présents et l'ambiance était très tendue. Alors que Monsieur Peyrefitte commença à prendre la parole avec une aisance dans la voix rarement vue, notre jeune journaliste de la Gaspésie sortit de l'immense salle, du moins par ses pensées. 

Il se rappela l'époque, où à peine âgé de plus de 16 ans, il avait offert ses services au gouvernement provincial pour la plantation de jeunes pins. Il revit les moments où assis sur un tronc d'arbre mort il reprenait son souffle. Les moments où il devait transporter la chaudière en métal pleine d'eau et de jeunes pousses d'arbres et sa marche au travers la forêt qui avait été victime quelques années plus tôt d'un incendie et qu'il était maintenant à ensemencer à nouveau par la plantation . 

Puis il aperçut le gérant de la coopérative de Saint-Siméon avec le soleil de l'après-midi qui filtrait les vitrines du magasin, et puis la mer juste en face. Il y avait aussi les employés de ce magasin, les Camil Cavanagh, Rhéaume Gauthier, Monelle Bujold. 
Soudain il entendit l'un d'eux lui crier une blague sur sa façon de transporter les sacs de provisions. 
Et finalement il revoyait l'heure du lunch où Maurice Cavanagh, l'un des employés de cette coopérative, mais aussi le confident de Bernard, lui offrir de le reconduire en voiture puisqu'il passait juste en face de sa maison paternelle, celle de Léonard Bujold. 

Il se transporta ensuite sur le terrain d'atterrissage situé à quelques milles de Port-Cartier où il avait débarqué avec les seize autres passagers de l'avion de Québécair. Il revit les couchers de soleil que l'on allait souvent regarder en flânant sur quais de Sept-Îles durant l'été. Les promenades en auto vers le Lac d'Aigle, Moisie et même Havre St-Pierre. Il y avait aussi les longs après-midi ensoleillés sur les plages de Moisie. L'automne doux et chaud de 1975, époque où il avait débuté aux arénas de Sept-Îles. La jeune fille que Martine Auray lui avait présentée. 

Et puis mai 1976, i1 revit son père sur le lit d'hôpital de Maria . Son sourire et les blagues que celui-ci racontait à son fils. Il se souvint aussi du conseil que son père avait essayé de lui donner un après-midi où il avait des problèmes avec la mécanique de sa voiture pour se rendre à l'hôpital. Malgré sa maladie Léonard avait comme repris vie dès le moment où son fils avait manifesté ses problèmes et il s'était mis à le conseiller sur les possibles causes des troubles mécaniques en question. 

Il y avait aussi la fois où, toujours sur son lit d'hôpital, il avait dit à Bernard : 
" Je t'écoute chaque matin à la radio. Je te dis que lorsqu'arrive l'heure de Sport-Santé à CHNC, j'avertis les gardes d'ouvrir la radio. Ca presse puis je te dis qu'elles m'écoutent " 

Et, comme l'une de ces gardes entrait dans la chambre, Léonard avait immédiatement présenté son fils : " C'est lui l'animateur de Sport Santé à New-Carlisle, Bernard Bujold " 

Soudain Bernard revint à la cérémonie du Salon rouge à l'Assemblée nationale. Comme il en avait fait du chemin depuis l'époque où il devait transporter les colis d'alimentation dans les automobiles des clients de la coopérative de Saint-Siméon. Est-il possible qu'il soit réellement à l'Assemblée nationale du Québec ? Lui un jeune gaspésien pauvre et sans valeur autre que son courage et sa foi en lui et en la vie . Était-ce un rêve ou la réalité? Il se posait sérieusement la question et eut même peur durant un moment que quelqu'un vienne lui dire: " Pardon Monsieur voulez vous sortir, vous n'avez pas la permission d'être ici . Ce n'est pas pour vous " 

Toutefois il était certain d'une chose, si ce père qu'il avait déjà eu et qui était à l'époque si fière des succès comme la coopérative, Sport-Santé, les arénas; combien il serait fier aujourd'hui en voyant ce même fils, son fils, installé journaliste à l'Assemblée nationale du Québec.

Cet endroit dont on ne parlait entre gaspésiens qu'avec hésitation comme si c'eut été péché de simplement penser à ce qu'était l'autorité, le gouvernement. 

Malheureusement ce père n'était pas là. Il n'y serait jamais plus et c'était ça le plus triste. 

" À moins, oui peut-être, à moins qu'il soit là quelque part en esprit et qu'il me regarde moi son fils et qu'il savoure avec moi mes succès ". 

Qui sait, peut-être qu'après la mort il existe réellement une autre vie? 

C'était son seul espoir de demander un jour à son père ce qu'il pensait de son fils Bernard Bujold ? 














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CHAPITRE NEUF 
Que sera demain ? 


Et voilà que vous êtes tout autant que moi au courant de ma petite histoire. L'histoire d'un simple individu issu de la campagne et élevé dans ce milieu où chacun regarde chaque jour passer en se demandant si demain ne sera pas un peu mieux et si on ne sera pas débarrassé de cette pauvreté presque enracinée dans la race. 

Je m'excuse si j'ai emprunté la plume d'un auteur imaginaire,la forme impersonnelle, pour vous raconter mes aventures, mais je pense qu'il fut ainsi plus facile pour moi de regarder ma situation et d'en faire un portrait objectif et naturel. Toutes les situations expliquées et leurs détails sont vrais et il n'y a aucune déformation. 

Pour ce dernier chapitre, je vais cependant reprendre ma propre plume et tenter de répondre à cette question: que sera demain? 

Demain sera sûrement différent d'aujourd'hui!

Et pour tous ceux qui auront le courage de foncer, la vie sera certainement meilleure. 

Moi-même depuis mon arrivée ici à l'Assemblée nationale, j'ai réussi à améliorer tout mon système. Présentement je réalise des textes quotidiennement pour quatre stations de radio de la province en plus de le faire pour CHAU-TV. Avec cette station justement, celle qui m'a ouvert les portes du parlement, j'ai renégocié un nouveau contrat au plan rémunération et nous, mes patrons et moi, avons sensiblement amélioré la formule de travail. 

Parmi les autres stations radiophoniques avec qui je collabore, il y a CKRS à Jonquière au Saguenay Lac St-Jean, le directeur là bas est un certain Jean-Paul Berthiaume. Il y a aussi CHLC de Hauterive qui est dirigée par Maurice Dumais. Enfin, s'ajoute à ça: CFRP de Forestville et CJMC de Sainte-Anne des Monts. 

Il y a évidemment en plus divers autres employeurs, des médias, qui me demandent à l'occasion des couvertures journalistiques précises sur tel ou tel événement.

J'en suis donc rendu à pouvoir vivre uniquement avec le journalisme. Toutefois je ne le fais pas, car je conserve quelques activités dans le monde des affaires qui sont encore au stade du début, mais là comme ailleurs j'ai confiance.

L'important n'est cependant pas dans ces faits, mais dans le résultat final qui démontre qu'un partant de presque rien, j'ai pu en venir à réaliser un but inaccessible au départ. Par ce succès, une chose est prouvée d'emblée: rien n'est impossible et l'on peut réaliser concrètement toute idée que l'on a dans la tête. 

Lorsqu'en 1977, je me suis dit: " Bernard tu pourrais être toi aussi un correspondant parlementaire ", plusieurs de mes amis m'ont répondu que j'étais beaucoup trop audacieux. Si je leur avais donné raison, jamais je n'aurais mis les pieds à Québec et personne de la Gaspésie et d'ailleurs, plus d'un million d'auditeurs au total, n'auraient pu bénéficier de l'information sur les activités politiques se déroulant à l'Assemblée nationale et les concernant directement.

Il en est ainsi de toute nouvelle idée. 

Au début il faut savoir aller au-delà des oppositions populaires et avoir le courage de risquer, de mettre parfois en danger sa propre sécurité. 

Que sera demain ?

Et bien pour moi à proprement parler je ne le sais pas encore exactement. Au départ j'avais voulu être présentateur de radio pour un peu épater mes amis. Mais petit à petit, le destin n'a poussé dans les coins et me voilà dans le bain jusqu'au cou avec le journalisme. 

Si au début aucun lien précis ne n'attachait à ce domaine, aujourd'hui c'est différent et c'est comme si un amour véritable s'était établi entre nous. Un amour qui me dit bien que la fille que j'aime n'est pas la plus jolie, mais elle est la fille dont je ne peux plus ne passer pour vivre ma vie. 

J'en suis donc rendu ainsi à aimer le journalisme en sachant bien toutefois que ce n'est pas la plus belle carrière du monde. Mais j'ai appris au cours des ans, même si j'en ai fort peu à mon actif, que ce n'est pas toujours la plus belle fille qui va bien avec soi. Il faut la choisir en tenant compte de sa valeur globale et non sur quelques critères furtifs. 

Le journalisme est un domaine important pour la société et même selon moi essentielle. Il se doit d'informer chacun des membres de notre communauté sur ce que font les autres pour le bien ou le mal de la vie de l'ensemble. Tout autant au niveau politique, culturel, sportif ou autre. 

Le journalisme est cependant une vocation!
Celui qui l'occupe doit croire en sa cause. Il doit vivre par et pour le journalisme. 

C'est une carrière très exigeante et ne réussit pas qui veut. Personnellement, lorsque de jeunes adolescents et même des adultes un peu au retour de l'âge me demandent comment faire pour devenir journaliste; je leur réponds que c'est exactement comme un joueur de hockey. On ne forme pas un professionnel du hockey en le plaçant dans un moule en série. C'est lui même qui doit se créer et se bâtir. Bien sûr il devra s'entraîner sous la surveillance d'un entraîneur et se soumettre à de longs et pénibles exercices, mais s'il n'a pas le feu sacré; il ne sera jamais un bon professionnel. Il pourra certes jouer, mais il n'atteindra jamais les sommets où seul les vraiment marqués de la providence se taillent une place. 

Il en est exactement ainsi du journalisme.
Ce dernier devra certes suivre un entraînement intellectuel, mais rien ne pourra remplacer son expérience personnelle face à la vie dans sa forme brute et sauvage. Le journaliste aura à traiter de la vie alors le mieux pour lui est de s'instruire à cette école spécialisée, l'école de la vie. 

Bien sûr il possédera des atouts s'il a une certaine formation scolaire, mais ce n'est pas là l'essentiel. 

Personnellement, j'ai commencé avec pratiquement rien comme formation provenant des écoles. Ce n'est qu'avec mes principes personnels acquis de père en fils que j'ai pu abattre les murs me séparant de mes objectifs. 

Certes aujourd'hui j'ai comblé certains vides. Je possède maintenant une formation scolaire. Je me suis inscrit en janvier I979 à des cours en relations industrielles et en sciences économiques à l'Université Laval en vue d'obtenir un diplôme officiel en ce domaine. Comme pour mon secondaire, je fréquente l'université par les soirs. 

Mais les seules luttes que j'ai dû mener pour poursuivre justement ces études scolaires et en voulant continuer de travailler sont un enseignement que je ne voudrais remplacer par rien d'autre au monde. Je me souviens précisément d'un mois de juin en I978 où je me suis retrouvé avec un horaire de travail de plus de vingt heures par jour. Je devais suivre certains cours de niveau secondaire afin de terminer le programme scolaire, l'horaire était de I6 heures à 22 heures en fin de soirée. Il y avait bien sûr mon travail journalistique et pour aggraver la situation en juin c'est la fin de la session; alors les activités sont condensées afin d'en réaliser le plus possible .Conférences de presse, adoption de lois, commissions parlementaires, rien ne manque et il n'y a pas une minute de répit.

J'avais cependant remarqué qu'il me serait possible, en m'inscrivant à des cours de niveau collégial durant l'été, d'être admis à l'Université Laval dès janvier I979. J'avais rencontré certains conseillers pédagogiques et ceux-ci avaient établi avec moi les exigences que demanderait la direction de l'université pour m'accepter dans leur institution. 

Toutefois si je voulais arriver à temps pour l'inscription en janvier, je devais obligatoirement m'inscrire à trois cours au Cegep durant la session d'été. Bien sûr j'aurais pu retarder de six mois mon entrée à l'université ou prendre des cours au Cegep en journée, mais je ne voulais ni cesser de travailler ni retarder la date pour les débuts à l'université. Je décidai donc de jouer mes chances et ceci malgré les nombreux avis me le déconseillant, avis provenant d'amis ou de collègues de travail. Je n'inscrivis donc à trois cours devant être dispensés durant la session d'été de 1978. 

Le gros problème était d'atteindre le 21 juin, car après cela, d'une part les cours du soir au niveau secondaire seraient terminés et la session de l'Assemblée nationale serait elle aussi ajournée. Néanmoins du 5 juin au 21 juin, durant ces trois semaines, mon programme de travail atteindrait un total de vingt heures par jours durant cinq jours par semaine. 

Moi même je me demandais si je passerais au travers. Mon programme s'établissait ainsi: je me rendais à mon bureau du parlement vers les 4 heures du matin, je lisais les comptes-rendus des commissions parlementaires et des divers débats de la veille. Puis je faisais quelques textes sur ces informations. En plus, je lisais les journaux du matin et écoutais les bulletins de nouvelles pour donner une orientation à mes textes en me basant sur l'ensemble de l'actualité de la journée à venir. Puis arrivait 8 heures où je partais en hâte vers le collège François—Xavier Garneau alors que dès 8 heures 30 débutait le cours auquel je m'étais inscrit: un cours de philosophie. Heureusement nous avions quelques minutes de pose vers 10 heures 30 et j'en profitais pour déjeuner frugalement à la cantine ou encore en mangeant quelques sandwiches que j'avais achetés en passant devant un restaurant à ma sortie du parlement. Par la suite dès 11 heures 30, le cours de philosophie terminé, je filais en toute vitesse à l'Assemblée nationale pour replonger dans les affaires de l'État. Au plan journalistique évidemment. 

Je continuais de travailler ainsi jusqu'à 15 heures 45, heure où j'acheminais mes différents textes résumant la période des questions de l'Assemblée nationale. Il faut dire que cette période des questions, qui dure 45 minutes, est un peu l'interrogatoire quotidien des députés envers les ministres et le gouvernement au pouvoir, ici le parti québécois. Durant cette période, les députés peuvent demander n'importe quel renseignement à un ministre bien que ce dernier ne soit pas obligé de répondre. L'inverse peut aussi se produire et un député du parti au pouvoir peut poser des questions, mais généralement le président de l'Assemblée donne préférence au députés des partis de l'opposition. À chaque jour de session, cette période revient et elle est pour la plupart des journalistes le moment le plus intéressant de la journée. Bien souvent on y obtient du matériel pour de bonnes nouvelles, car il n'est pas rare de voir les députés et ministres s'engueuler et chacun essaie d'accuser l'autre de complots, de malhonnêteté et de tous les vices. On dirait même parfois qu'on assiste à une pièce de théâtre. 

Donc dans mon cas, immédiatement après cette période des questions, je sautais en trombe dans ma voiture et je me rendais à l'autre bout de la ville près de Place Laurier dans une école secondaire de Ste—Foy pour y suivre l'enseignement, soit le reste du programme de niveau secondaire cinq auquel je m'étais inscrit. J'arrivais souvent avec quelques minutes de retard, mais je demeurais devant les professeurs de ce programme jusqu'à 22 heures en fin de journée.

Ainsi, une fois sorti de cette école, avant que j'ai pris mon premier et seul bon repas de la journée et fait ma toilette, je ne me couchais jamais avant minuit parfois plus tard. J'ai mené ainsi pendant trois semaines ce rythme de vie et ne pouvant profiter que des samedis et des dimanches pour récupérer au plan sommeil. 

Certes me dira-t-on, j'aurai pu éviter toute cette agitation en retardant mon inscription à l'université de six mois. J'ai décidé le contraire en jugeant que j'étais capable de m'imposer une discipline pour une aussi courte période que trois semaines. On en arrive toutefois pas à prendre des décisions de ce genre du jour au lendemain. Il faut avoir un peu confiance en soi et ne pas avoir peur du travail. Il faut savoir maintenir une décision que l'on a prise et se dire que le temps c'est de l'argent. En terminant ces cours de rattrapage au niveau secondaire de façon condensée avec ceux de niveau collégial, j'ai pu finalement m'inscrire pour la session de janvier 1979 à l'Université Laval. 

J'étais pratiquement plus fier du fait d'avoir gagné la lutte contre les événements que de pouvoir commencer à fréquenter l'université.

Depuis et bien j'ai certes plus de temps libre et je m'occupe un peu plus de mes affaires commerciales et je me concède quelques moments de loisirs par des sorties galantes ou quelques bons matchs sportifs où je suis un participant. Mais je crois que c'est en se disciplinant en certaines occasions comme moi en juin 1978 que l'on arrive à se former une personnalité avec certes des défauts, mais n'ayant pas peur de l'effort et du risque. 

Et on peut aussi dire que l'on vit pleinement notre vie et que l'on en gaspille aucun moment. Car vivre c'est se déplacer, chercher, apprendre, connaître et foncer en plus bien sûr de s'accorder calmement certains moments de repos et de détente. 

On me demande souvent si je ferai toujours du journalisme surtout en considérant le fait que j'y ai débuté très jeune et que j'ai réussi à obtenir certains succès? Question à laquelle je peux difficilement répondre. 

Une grande dame américaine a dit : 
" C'est un des aspects étranges de la nature humaine que nous soyons toujours prêts à attendre le mieux et que nous oublions de craindre le pire, en dépit, des leçons de l'expérience.
Les hommes sont apparemment destinés à rester optimistes. 
Oserait-on mettre des enfants au monde, s'appliquer à les élever et faire pour eux des projets d'avenir si on se rappelait que toute heure à venir recèle l'inconnu et que pour nous tous, individu, famille et communauté et même nation; i1 n'est peut-être aucun avenir sur terre. " -Rose Kennedy. 

Si une personne à certains moments de son existence a pu croire être heureuse et penser que la providence, le sort ou encore le destin comme il vous plaira de le nommer, avait choisi pour la combler de faveur c'est bien cette dame. Elle a dû voir, malgré les grands moments de joie de sa vie, ses fils assassinés devant la nation et leur empire familial continuellement la proie des dieux. Toutefois cette même dame disait aussi et là je cite :  
" Nul n'est exempt d'épreuves dans l'existence et si on se croit spécialement marqué par le malheur, on se trompe, d'autres, ont souffert bien plus et ce ne sont pas les larmes qui rendent la souffrance supportable, mais la volonté. " 

Personnellement, je suis encore très jeune et j'ai sûrement une longue liste de problèmes qui m'attendent patiemment et que je devrai affronter et vaincre si je veux connaître le succès ou tout simplement vivre ma vie. La vie est tellement courte qu'il faut en vivre tous les moments et essayer de connaître toutes les expériences possibles. Il faut cependant agir prudemment surtout lorsque l'on s'est engagé sur une voie et que l'on commence concrètement à donner une forme à notre empire. Il ne faut pas abandonner une oeuvre à moitié terminée. 

On ne doit pas changer d'emploi pour le simple plaisir, mais parce qu'ainsi on améliorera notre situation personnelle et que l'on aidera l'ensemble de la société à mieux être." 

Je citerai encore une phrase de Rose Kennedy: 
" Chacun devrait participer au bien public, pour son pays, et pour l'humanité entière." 

Participer au bien public pour moi signifie faire bien ce que l'on a à faire. Que ce soit balayeur de rue, commis dans un magasin ou journaliste. 

On a déjà dit :
"Il n'y a pas de sots métiers il n'y a que de sottes gens."

C'est un peu vrai. 

Personnellement j'aime le journalisme et régulièrement je reçois, presque à chaque mois souvent chaque semaine, des offres d'emploi nouveau.  Certaines proviennent du milieu journalistique d'autres du monde des affaires ou du sport. Je dois choisir et dans bien des cas je refuse. Dans d'autres aussi, ce sont les employeurs qui me refusent. Mais l'important n'est pas là. L'important est dans le courage de foncer. 

Cette même Rose Kennedy pour qui j'ai beaucoup d'estime comme d'ailleurs pour toute la famille Kennedy, racontait un jour cette histoire qui peut aussi bien s'adresser à nous gaspésiens, québécois ou qu'à sa famille:
"Chez-nous du côté des Kennedy, les ancêtres étaient des gens pauvres qui n'avaient pas mérité leur sort misérable, mais ils possédaient l'imagination, la volonté et l'énergie nécessaire pour améliorer leurs conditions d'existence et celles de leur famille. Leur ardeur au travail et leur persévérance leur permettaient de supporter toutes les épreuves le regard tourné vers l'avenir et ils savaient faire des projets et saisir la chance quand elle passait à leur portée, la provoquer au besoin."

Si j'ai voulu écrire cet ouvrage et le dédier à tous les jeunes qui le liront, c'est pour leur démontrer clairement que peu importe son origine, sa famille, sa fortune ou quoi que ce soit; il est possible de modifier son destin et d'obtenir face à cette vie des victoires personnelles. 

Moi-même je n'étais pas favorisé d'aucune façon, pas plus pour m'occuper de simples lectures de nouvelles à Sept-Îles durant les fins de semaine que je le suis aujourd'hui à Québec pour m'occuper des activités parlementaires et fournir une couverture journalistique à certaines parties de la population. 

J'ai cru en moi et j'ai profité des occasions qui s'offraient en les provoquant plus souvent qu'à mon tour. 

Pour l'avenir, et bien je ferai encore de même. 

J'ai déjà dit et là je me cite: " J'ai appris avec la vie que ce que l'on dit interdit ne l'est pas toujours. Pour moi en tous cas l'interdit n'existe pas à condition d'être honnête et de respecter autrui. " 

Et je veux ajouter les dernières phrases à ce livre en rappelant, sans vouloir crier au prophète, la parabole des "talents" dans la bible. La pire chose que l'on peut faire dans la vie c'est d'enfouir son talent de peur qu'il se brise. Si Dieu ou quelqu'un d'autre nous a donné des habilités alors il nous faut tenter de les améliorer et d'en augmenter la valeur. Ce n'est que de cette façon que l'on répondra à la volonté du donateur et que nous pourrons nous rapprocher du bonheur. 

Et je dis enfin que peu importe d'être journaliste, vendeur, manoeuvre ou simple gardien de nuit; l'important c'est d'être pleinement ce que l'on est!

Bernard Bujold
Assemblée nationale du Québec
Février 1979






Léonard Bujold  (1915-1976)

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Archives des dernières pages de la version originale du livre













ALBUM PHOTO SOUVENIR - 


NOTE: Cet album photo a été ajouté pour illustrer le récit du livre: 

COMMENT JE SUIS DEVENU JOURNALISTE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC?
Ces photos n'étaient pas publiées dans l'édition originale du livre.





BERNARD BUJOLD ASSEMBLÉE NATIONALE - 1977-79

PRESBYTÈRE SAINT-SIMÉON DE BONAVENTURE - 1965
BERNARD BUJOLD AU PRESBYTÈRE - 1959
LÉONARD BUJOLD ET BERNARD BUJOLD - 1959
BERNARD BUJOLD -  Première année scolaire 1962
BULLETINS SCOLAIRES BERNARD BUJOLD



BERNARD BUJOLD - SEPTIÈME ANNÉE PRIMAIRE -1969

BERNARD BUJOLD - COOPÉRATIVE -1973
BERNARD BUJOLD SEPT-ÎLES 1973

BERNARD BUJOLD À CKCN SEPT-ÎLES - 1974



BERNARD BUJOLD -ARÉNAS DE SEPT-ILES 1978



BERNARD BUJOLD - CHRONIQUES SPORT SANTÉ 1978

LÉONARD BUJOLD 1915-1976






LA MAISON DE LÉONARD BUJOLD -1976
BERNARD BUJOLD JOURNALISTE CHAU-TV 1976
AFFICHE DE PROMOTION SPORT SANTÉ
BUREAU BERNARD BUJOLD À SAINT-SIMÉON - 1976
BUREAU BERNARD BUJOLD CHAU-TV 1976


BERNARD BUJOLD EN STUDIO À CHAU-TV
CHAU-TV À CARLETON SUR LE MONT ST-JOSEPH
BERNARD BUJOLD À L'ASSEMBLÉE NATIONALE
NOUVEAU BUREAU BERNARD BUJOLD ASSEMBLÉE NATIONALE 1979
TRIBUNE DES JOURNALISTES
(BERNARD BUJOLD À DROITE)


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